Le souffle du jasmin
allons rencontrer et les buts que poursuit
l'organisation ?
Le Français articula :
– Haras el-Istiqlal , les « Gardiens de l’indépendance ». C'est bien le nom du mouvement ?
Pourquoi ?
– Pourquoi ? s'étonna Nidal.
– Pour quelle raison avez-vous
accepté de m’introduire auprès de ces gens ? Vous n’avez
certainement pas oublié que je suis un représentant de la France. Donc un
ennemi potentiel de votre pays.
L'Irakien adopta une moue
énigmatique.
– Qui sait ? Je vous trouve
peut-être moins arrogant que les Anglais.
Levent ouvrit la bouche pour exprimer
son scepticisme, mais n'en fit rien. Quatre hommes venaient d'entrer dans le
salon. Parmi eux, le Français reconnut immédiatement le jeune Rachid
el-Keylani, l'impétueux qui avait osé moucher le diplomate anglais quelques
semaines auparavant. Il marchait à côté d’un personnage nettement plus âgé. Presque
un octogénaire. Ce dernier donna l'accolade à Nidal qui s'empressa de faire les présentations :
– M. Jean-François
Levent, Abdel Rahman el-Keylani le naquib el achrâf , notre hôte, mais aussi l'oncle de Rachid que vous avez déjà rencontré.
– Enchanté
de faire votre connaissance, effendi , déclara le vieil homme. Asseyez-vous, je vous en prie.
Tandis que
les autres prenaient place à leur tour, Levent en profita pour étudier
discrètement le maître de céans. Physique dense, visage ridé, tanné par le
soleil, mais regard perçant et gestes comptés. Il ne ressemblait aucunement à
son jeune neveu, le bouillant Rachid, mais, malgré son âge avancé, donnait lui
aussi l'impression d'être à chaque instant prêt au combat.
–
Alors ? demanda-t-il en se penchant vers Levent. Si j'en juge par les
confidences que vous avez bien voulu faire à notre ami Nidal, les Anglais ne
vous facilitent pas la tâche.
– Disons
que ces gentlemen n'en sont pas.
– Que
voulez-vous, la France a perdu la main. Elle n'aura pas le vilayet de Mossoul.
Et je ne vais pas vous plaindre. On a dû vous le dire : je n'aime pas la
France, ni les Juifs ceux que j'exècre le plus, ce sont les chiites.
Levent
demeura de marbre.
L'autre
poursuivit :
– Tout
porte à croire que c'est désormais aux Anglais que nous allons devoir nous
frotter. L'Angleterre est maintenant maîtresse de l'Orient, et nous, les
Arabes, sommes désunis.
Le jeune
Rachid s'empressa d'approuver :
– Mon
oncle a raison : nous sommes nos pires ennemis.
Le
Français fit mine de s'étonner.
Abdel Rahman
leva le bras.
– Il y a
presque cinquante ans – cinquante ans ! – que les nationalistes arabes
essaient de se rassembler pour rejeter les étrangers qui prétendent nous
gouverner. Cela a commencé sous les Turcs. Mon père m'a raconté les événements,
et il m’a fait jurer de ne jamais les oublier. En 1908, lors de la révolte des
Jeunes-Turcs, nous avons cru avoir atteint notre but. Le sultan serait
renversé, nous pourrions enfin reconquérir notre liberté. Un ratage sur toute
la ligne. Que voulez-vous ? Nous devons admettre que nous sommes encore au
stade tribal !
Vous savez
bien qu'en tant que nation les
Arabes n'existent pas. Ils ne sont
qu’un agrégat de tribus. D'ailleurs, si nous nous y prenons correctement, ils
resteront ceux qu'ils sont : un tissu de petites factions jalouses les
unes des autres et incapables de cohésion.
Ces propos, tenus trois ans plus tôt par le ministre anglais lord Grey,
rejaillirent à l’es prit de Jean-François avec une acuité fulgurante.
Abdel Rahman enchaînait :
– Avant de mourir, mon père nous a dit, à mon frère et à
moi : « Mes enfants, la vie sans la liberté ne mérite pas d être
vécue. Elle est encore plus insupportable quand on est riches et instruits
comme vous l’êtes. Il y a d'autres hommes qui pensent comme moi, comme nous. Alliez-vous
avec eux. Si vous êtes unis, vous serez plus forts ! » C'est la
raison pour laquelle nous avons réuni les chefs de ce pays et fondé une
alliance nationale.
– Les Gardiens de l'indépendance, commenta Jean-François
Levent.
Rachid s'immisça dans la discussion avec une pointe de
véhémence :
– Je sais que mon oncle, que je respecte et vénère,
n'est pas opposé à la présence anglaise, parce qu'il est convaincu que non
seulement les Anglais réduiront nos rivaux chiites à l'impuissance, mais
qu'ils ne résisteront pas longtemps dans notre pays. Or, nous sommes nombreux à penser le contraire.
De quoi est fait le
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