Le souffle du jasmin
côté, j’userai de mon influence auprès des miens.
– Je vais
faire de mon mieux, Hussein. Je t'en fais le serment. Mais sache que je ne suis
qu'une voix.
– Je ne
suis guère plus, moi-même. Mais deux voix, c'est déjà mieux qu'une seule et
encore mieux que le silence.
Hussein
continua, à l'intention de son cousin.
– Toi
aussi, Latif, fais-en autant. Nous ne pouvons laisser ce pays se transformer en
une mare de sang, ce serait criminel.
Josef
rectifia, la gorge nouée :
– Pire. Ce
serait un blasphème contre Dieu.
*
Le Caire, 14 avril 1919
Taymour et
Mourad s'étaient joints aux milliers d'étudiants qui marchaient, poings levés,
vers le palais Abdine. Les troupes anglaises postées aux alentours commencèrent
par tirer en l'air mais, prises de panique devant le déferlement, elles
visèrent la foule. Cinq étudiants tombèrent, des dizaines d'autres furent
blessés. En quelques instants, la situation devint apocalyptique.
Vers 3
heures de l'après-midi, les domestiques rapportèrent à Amira Loutfi la
tragédie. Taymour ! Elle imagina le cadavre de son fils piétiné par la
foule et éclata en sanglots. Elle tremblait d'informer son époux, jusqu'au
moment où celui-ci tiré de sa sieste par un coup de téléphone. Une voix
conseilla de ne pas sortir, en raison des troubles.
Il
rejoignit sa femme et sa fille réunies dans le salon. Amira lui confia alors ce
qui s'était passé et lui qui ne priait jamais se retrouva en train d'exhorter
le Très-Haut.
L'heure
tournait. Que faire, sinon attendre ? Attendre la visite d'un émissaire
qui viendrait leur apprendre la terrible nouvelle. Ou alors le retour de
Taymour blessé, peut-être grièvement.
Vers 6
heures du soir, la grande porte d'entrée claqua ; tous se précipitèrent
dans le vestibule. Taymour et Mourad étaient là. En piteux état. Le visage baigné
de larmes, Amira se jeta dans les bras de son fils.
Murmurant
des mots de gratitude à l'égard de la bonté divine, les domestiques
s'empressèrent d'apporter du thé aux rescapés.
– Peste
soit des Anglais et de la politique ! cria Amira Loutfi, à bout de nerfs.
–
« Peste soit des Anglais » suffira, rectifia Taymour sourire las.
Loutfi bey
avait l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Voilà que tout à coup, à
son corps défendant, il se trouvait entraîné dans ce maelström. Comment tout
allait-il finir ?
Le soir,
Le Caire était livré au chaos. Plus aucun véhicule ne circulait et la capitale
grondait des cris de : « Mort aux Anglais ! »
Le
lendemain, les voies ferrées furent sabotées et la gare de Bab el-Hadid mise
hors d'usage, guichets saccagés ou fermés. On apprit que des francs-tireurs
avaient pris pour cibles des sentinelles des casernes anglaises de Kasr el-Nil.
Les étrangers se terraient chez eux. Les militaires anglais patrouillaient dans
les rues, devant les commerces aux rideaux de fer baisés. La ville se
retrouvait quasi en état de siège.
Soudain,
sans doute sous la pression du sultan Fouad, les Britanniques décidèrent de
lâcher du lest. Le haut-commissaire, sir Reginald Wingate, fut rappelé à
Londres. Mais le choix de celui qui lui succédait n'augurait rien de bon. Il
s'agissait du célèbre général Allenby, celui-là même qui était entré à Damas
pour y installer Fayçal.
*
Bagdad, 20 avril 1919
Aux premières heures de l'après-midi,
Nidal el-Safi, accompagné par Jean-François Levent, franchit le seuil d’une
demeure imposante. Un vieux domestique les introduisit dans un vaste salon. La
pièce était maintenue dans une discrète pénombre, tandis que deux braseros tenaient en
respect le froid qui s'obstinait, malgré la saison.
Nidal chuchota :
– Vous êtes conscient, n'est-ce pas,
de la faveur que l'on vous a accordée ? Normalement, personne ne participe
à ces réunions sans montrer patte blanche, et encore moins les étrangers.
Croyez qu'il m'a fallu faire preuve d'un grand talent de persuasion pour qu'ils
acceptent.
– Je vous remercie, Nidal. J'avoue
que j'espérais, sans vraiment y croire. Il ne me reste que quelques heures ici.
Demain, je pars pour Damas.
– Ne vous avais-je pas promis ?
Tout en parlant, Nidal fit apparaître
un chapelet d'ambre de la poche de sa dichdada . Les grains défilèrent entre son pouce et son index.
– J'imagine, poursuivit-il, que v ous avez bien compris le rôle de chaque
personnage que nous
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