Le souffle du jasmin
à des gestes
magnanimes ?
À l'heure
du couchant, alors qu'une tendre brise courait parmi les cotonniers, une pensée
traversa l'esprit de Loutfi bey. Une pensée qu'il ne se serait jamais cru
capable de concevoir. Cette ferme avait été bâtie avec des pierres d'Égypte. Le
parfum des fleurs était issu de la terre d' Égypte . Le coton
aussi. Sa fortune provenait de cette même terre. Était-il possible que tout cela fût soumis à la volonté d'étrangers
arrogants ? Même son contremaître – pourtant si loin des ambitions
nationalistes des « gens éduqués » – avait semblé ému par la fièvre
qui s'était emparée du pays après la déportation de Zaghloul. Il avait osé lui
demander s'il n'y aurait pas d'autres clients que les filateurs de Manchester,
parce qu'il se sentait meurtri à l'idée de vendre du coton égyptien à l'ennemi
britannique. Non. Contrairement à ce que Farid Loutfi avait cru, les
manifestations des partisans de Saad Zaghloul ne relevaient en rien d'une
simple crise de nerfs. Non. L'Égypte était peut-être en train de lever la tête.
Il regarda vers son épouse. Elle tricotait et
paraissait bien lointaine. Leur fille, Mona, était allongée sur une chaise
longue, absorbée par la lecture d'un journal. Il se pencha pour lire le titre, L' É gyptienne , et ne put s'empêcher
de demander sur un ton sarcastique :
– Madame la féministe va bien ?
La jeune fille éluda la question et lut à voix
haute :
– « Malgré les obstacles, malgré l'attitude de
despotisme adoptée par l'homme à l'égard de la femme dont il veut confiner la
fonction aux simples travaux de la maison... »
– Arrête Mona !
– « ... l'Histoire de l'humanité a retenu des
pages sublimes aux rôles joués par la femme, à l'image de Catherine II
impératrice de Russie, que M. Voltaire avait surnommée "le seul grand
homme de l'Europe"... »
– Il suffit ! Un mot de plus et tu vas
comprendre ce qu'est la vraie condition féminine !
Il interpella son épouse :
– Elle est belle, ton éducation !
Amira lui décocha un regard indifférent et replongea
le nez dans son tricot.
Taymour s'arrêta près d'une noria et examina Mourad
avec ferveur.
– Tu me jures que c'est la vérité ?
Jure-le-moi !
– Pourquoi te mentirais-je, mon
ami ? Oui, c’est la vérit é. Néanmoins,
permets-moi quand même de te dire mon chagrin : comment as-tu pu imaginer
un seul instant que je cherchais à dévoyer ta sœur ? Ou, pire, à abuser d'elle ?
Tu m’as fait une peine immense.
L’Égyptien
baissa les yeux, tandis que son ami poursuivait
– La semaine passée, alors que
j'étais à Haïfa, j'ai parlé à mes parents et leur ai fait part de mes
intentions.
– Comment ont-ils réagi ?
– Ils ont pleuré de joie. Ma mère,
surtout.
– Je te demande pardon. Ce n’est pas de
toi que j'ai douté, mais de Mona. Ces idées « modernes » lui tournent
parfois la tête. À vrai dire, j'ai craint autant pour toi que pour elle.
– Es-tu rassuré à présent ?
Dans un
élan chaleureux, Taymour donna l'accolade au Palestinien.
– Je le suis, mon frère. Je le suis.
Pardonne-moi encore d'avoir douté. Maintenant, le plus dur reste à faire.
Affronter le dragon ! Viens !
À mesure
que le Palestinien parlait, les pupilles de Farid Loutfi se dilataient au point
que, lorsque le silence retomba, on eût dit deux soucoupes. Amira avait arrêté
de tricoter. Mona, elle, tremblait un peu et des larmes coulaient le long de
ses joues.
Finalement,
Farid réussit à bredouiller :
– Épouser ma fille ?
Mourad,
droit comme un I, dans un garde-à-vous respectueux, se contenta d'incliner la
tête en avant.
L’Égyptien
se tourna vers son épouse.
– Tu as entendu ?
La femme
leva les yeux au ciel avec une moue fatiguée qui voulait dire :
« Évidemment ! Suis-je sourde ? »
– Ou est le problème ?
questionna Taymour. Mourad n’est-il pas digne d'épouser ma sœur ?
– Au cas où cette évidence te serait
sortie de l'esprit, rétorqua Loutfi bey, je te rappelle que ta sœur est avant
tout ma fille.
Il fixa le
Palestinien et conclut :
– Je regrette. La réponse est non.
– Quoi ?
L’ exclamation , presque un cri, avait été lancée
par Mona.
La jeune
fille bondit de son fauteuil et vint se camper devant son père, poings sur les
hanches.
– Tu as dit non ?
– J'ai dit ce que j'ai dit.
– C'est impossible !
– Ce qui est impossible ce sont
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