Le souffle du jasmin
s'exclama :
– Aucun homme digne de ce nom
n'aurait accepté de telles exigences !
– Le capitaine Balfour, enchaîna
Rachid el-Keylani, un homonyme de l'autre imbécile qui prêche pour un foyer
juif en Palestine, informa lui-même les ulémas. Que croyez-vous
qu'il se passa ? Nous avons résisté, monsieur Levent. Tous les
habitants de Najaf ont pris les armes pour défendre leur cité, le siège a duré quarante-six jours
au cours desquels les Britanniques ont perdu sept cents hommes ! De notre
côté, nom n'avons enregistré qu’une
quarantaine de morts. Évidemment, cette lutte du pot de fer contre le pot de
terre ne pouvait s'éterniser. La famine, l'épuisement, la soif ont eu raison de
la résistance de nos combattants. Treize d'entre eux ont été condamnés
à la peine capitale. Cent soixante-dix autres ont été exilés aux Indes. Quelle
importance ! Nous avons prouvé à ces gentlemen que, s'ils
veulent continuer à occuper notre pays, ils devront payer le prix fort.
Le silence
retomba.
Abdel
Rahman but d'une seule traite son verre de thé noir. Nidal continuait
imperturbablement de faire rouler entre ses doigts les grains de son chapelet.
Finalement,
Jean-François Levent demanda :
– Pour
quelle raison avez-vous accepté de me rencontrer ?
Abdel
Rahman el-Keylani écarta les bras :
– Les
Français doivent savoir que nous ferons tout pour que le traité qu'ils ont
signé avec les Anglais ne soit pas applicable. Passe encore que les
Britanniques demeurent quelque temps sur notre sol, mais la France, non !
Le naquib leva son index
vers le ciel :
–
D'ailleurs, un autre problème vous attend qui sera bien plus complexe à régler.
Vous voyez de quoi je parle, monsieur Levent ?
– Pas le
moins du monde, mentit le diplomate.
– La
Syrie !
Levent
réagit par un haussement d'épaules. Dans son for intérieur, il savait que son
interlocuteur avait visé juste. Entre les Anglais qui tenaient à conserver
Damas, l'émir Fayçal à qui l'on avait promis le trône et les nationalistes
syriens qui ne calaient pas leur intention de mettre tout ce monde à la porte,
la Syrie promettait au gouvernement Clémenceau quelques belles insomnies.
Le
Français fit remarquer :
– Je vais vous étonner, cheikh El-Keylani : je
comprends vos motivations. Malheureusement, je crains que vous n'ayez pas les
moyens de vos aspirations. Vous avez déclaré tout à l'heure que vous haïssiez
les Français, les Juifs, mais plus encore les chiites. Croyez-vous que vous
serez en mesure de rallier ces derniers à votre
cause durablement avec ou sans l'appui des Anglais ? J'en serais fort surpris.
Et vous oubliez les Kurdes. Ces Kurdes qui ne veulent pas démordre de leur
espoir d'un Kurdistan indépendant !
Levent toisa l'assistance :
– Je vous l'accorde. La France n'aura probablement pas
Mossoul. Mais les Anglais, eux, à cause des divisions internes que vous avez
mentionnées, sauront vous enlacer pour mieux vous étouffer. Ils vont manœuvrer,
diviser, temporiser, ergoter, marchander, finasser. Ils vous mettront à genoux.
À moins que...
Tous attendirent la suite.
Le Français tonna :
– A moins que les Arabes s'unissent et fassent fi de
leurs différences ! Une prouesse que vous n'êtes pas en mesure, hélas, de
réaliser. Ainsi que vous l'avez reconnu au début de notre conversation :
vous en êtes encore au stade tribal.
Il se tut.
Un bruit de bottes brisa le silence. C'était un
détachement de soldats britanniques qui remontait la rue.
9
Si tu veux faire rire Dieu
aux éclats, parle-lui de tes projets.
Anonyme.
Tantah, début octobre 1919
Au-dessus
de la ferme, le ciel était d'un bleu métal et l'air empli du parfum des
orangers en fleur. On eût dit que la nature tout entière avait décidé de
s'associer à la gloire de Zaghloul qui tentait de négocier en ce moment même, à
Paris, l'indépendance de l'Égypte. Mais la délégation égyptienne, qu'il avait
baptisée le Wafd [45] ,
pèserait-elle face à des personnalités telles que le Français Georges
Clemenceau, l'anglais David Lloyd George, Woodrow Wilson, vingt-huitième
président des États-Unis d'Amérique, ou Vittorio Orlando, le président du
Conseil italien ? Même les esprits les plus optimistes ne se faisaient
guère d'illusions. Depuis quand une conférence organisée par les vainqueurs
pour négocier avec les vaincus avait-elle quelque chance d'aboutir
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