Le souffle du jasmin
sa
droite, Nachachibi, le maire de Jérusalem, et, à la droite de ce dernier, sir
Ronald Storrs, le gouverneur de la ville.
Latif et
Hussein Shahid s'étaient glissés à quelques mètres des personnalités. Soliman
avait insisté pour les accompagner.
– Tu ne veux donc plus être
poète ? s'était étonné son père.
Le jeune homme
rectifia les lunettes de myope
qu'il portait depuis peu.
– Pourquoi être poète serait-il incompatible
avec l'intérêt que l'on éprouve pour son pays ?
La
réplique avait laissé Hussein sans voix. Il pensa à part soi que, décidément, la politique ressemblait parfois à une maladie
hautement contagieuse ; à moins que ce fût cette
autre chose que d'aucuns appellent l'amour de son pays.
Il jeta un
regard en coin vers le mufti, récemment promu « Grand
mufti de Palestine » par le haut-commissaire, Herbert Samuel. Un titre
honorifique sorti du chapeau melon anglais. Par cette « promotion »,
Herbert cherchait à amadouer l'une des familles les plus riches et les plus
puissantes de Jérusalem, dont les membres avaient exercé la fonction de mufti
pendant la majeure partie des deux siècles précédents. Encore une manigance des British .
La dernière fois qu'Hussein avait
croisé le « grand » mufti, celui-ci venait tout juste de rentrer du
Caire après avoir achevé des études coraniques à l'université d'El -Azhar. Depuis ce jour, le jeune
homme – il avait aujourd'hui vingt-deux ans –, était devenu la voix
incontournable de la résistance palestinienne. On l'avait surtout remarqué cinq mois
plus tôt, en juin,
lors du passage de la commission King Crane, mandatée par les Alliés pour
recueillir l'avis des populations locales sur le mode de gouvernement qu'elles
souhaitaient.
Brusquement, un brouhaha s 'éleva, qui arracha le Palestinien à ses pensées. Le docteur Chaïm Weizmann
venait de faire son apparition.
Taille moyenne. Quarante-cinq ans. Vêtu d'un costume
sombre. Il marcha jusqu'au pupitre qu'on lui avait aménagé. En l 'observant, Latif se dit que le bouc et la moustache
ornant son visage lui donnaient un faux air de Lénine ; une ressemblance
issue sans doute de ses origines biélorusses.
Le Juif salua l 'assemblée, en anglais d'abord, en yiddish ensuite,
eut un regard appuyé en direction du gouverneur Storrs, posa quelques feuillets
devant lui et entama la lecture de son discours.
« Il
y a vingt siècles, en ce même lieu, mes ancêtres avaient leur capitale, et
c'est d'elle qu'ils ont envoyé au monde le grand message, tel un pain qu'ils
auraient jeté aux ondes et que les ondes rapporteraient de nos jours à leurs descendants…
« Bien
que je sois né dans les régions lointaines du Nord, je ne suis pas en Palestine
un étranger à l'étranger. Il en est de même de tous mes frères dispersés. Nos
ancêtres ont héroïquement défendu leurs droits à cette cité sacrée, et ce n'est
que vaincus par un sort plus cruel et plus sanguinaire encore que celui
qu'éprouve aujourd'hui l'Arménie qu'ils perdirent leurs droits politiques sur
la Palestine. Néanmoins, nos ancêtres n'y ont pas renoncé. Privés de la
Palestine, leur foyer national, ils surent se créer une Palestine
intellectuelle qui a résisté victorieusement pendant deux mille ans aux assauts
de tous les ennemis.
« Aussi
peut-on dire que nous ne venons pas en Palestine, mais que nous y rentrons.
Nous y revenons pour rattacher les glorieuses traditions du passé à l'avenir,
pour y développer une fois de plus un grand centre moral et intellectuel d'où
peut-être surgira le nouvel ordre des choses auquel aspire le monde éprouvé.
« Le
sionisme cherche à instaurer des conditions qui permettent l'essor de cette
terre. Un essor qui ne saurait se réaliser au détriment des grandes communautés
déjà établies dans ce pays ; il doit au contraire tourner à leur avantage.
Il y a, en Palestine, assez de place pour faire vivre une population bien supérieure
à la population actuelle. Les appréhensions, secrètes ou exprimées des Arabes,
n'ont donc pas lieu d'être ; leur crainte de se voir évincés de leur
position actuelle est dictée par une fausse interprétation de nos visées et de
nos intentions, inspirée par les menées insidieuses de nos ennemis communs.
Moralement, matériellement, il est de l'intérêt mutuel des Israélites et des
Arabes de vivre dans la paix et la fraternité.
« Ne
croyez pas ceux qui vous diront que le but des Israélites
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