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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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chargé de leur parler.
    – Ah ! Enfin ! On
s'intéresse à eux. Qui comptez-vous voir ? Les membres du parti
El-Istiqlal je suppose ?
    – Vous êtes bien informée.
    – Je suis à bonne école avec un
maître comme Nidal. Lorsque vous étiez à Bagdad, ne vous a-t-il pas présenté
certaines personnalités irakiennes de ce réseau, Rachid el-Keylani, entre
autres ?
    – Oui. Quel personnage !
    – Qui devez-vous rencontrer
ici ?
    – Le docteur Abdel Shahbandar et
El-Atassi. Le premier est la figure dominante du mouvement nationaliste ;
l'autre est président du Congrès national syrien. Je vais vous confier un
secret que je n'ai même pas partagé avec le général Gouraud : c'est Nidal
qui m'a conseillé d'entrer en rapport avec eux lorsque je me trouvais à Bagdad.
Il les a même prévenus de mon arrivée. Du moins, je l'espère.
    Alors que
le serveur alignait les mezzés sur la table, elle interrogea :
    – Nous avons parlé des Irakiens, des
Syriens, des Arabes, des Turcs, mais vous ? Pourquoi ?
    Il n'eut
pas l'air de comprendre. Elle répéta :
    – Vous, Jean-François. Où vous
placez-vous ? Du côté des gentils ? Des méchants ? Dans lequel
des deux camps vous sentez-vous à l'aise ?
    Il ne s'était jamais posé la question jusque-là. Cambon, qui l'avait toujours considéré comme son fils, avait contribué à son avancement
au Quai d'Orsay. Il obéissait
aux ordres, c'est tout,
    Elle
revint à la charge.
    – Je suis tout simplement du côté de la France.
    – Une position honorable, en effet. Serez-vous prêt à la
conserver si la France se fourvoyait ?
    – Même si la France se fourvoie,
oui. Rien ne m'empêche d'exprimer des réserves, voire des critiques.
    – Exprimer n'est pas condamner.
    – Ce n'est pas mon rôle.
    – Vous fermerez donc les yeux
lorsque votre armée chassera Fayçal et prendra la Syrie de force ?
    Il préféra
le silence. La voix d'un muezzin appelant à la prière déchira le ciel et fila
vers les étoiles naissantes.
    – Dounia.
    – Oui ?
    – Je vais vous paraître odieux,
présomptueux même, mais je détiens les clés qui gèrent ce monde. C'est mon père
qui me les a remises. Elles sont au nombre de deux : le cynisme et la
voracité des puissants. L'une étant indissociable de l'autre. Croyez-vous que
si la France ne prenait pas la Syrie, l'Angleterre ne le ferait pas ? Et
si ce n'est pas l'Angleterre, un autre pays ne se mettra-t-il pas sur les
rangs ? Alors ? Non, Noé ne s'est pas sabordé. Il a fait pire :
il a laissé ses enfants construire d'autres arches. Au fil des siècles, ces
arches ont changé de nom. On les appelle aujourd'hui des nations. Et moi je
tiens à ce que l'arche où je suis né continue de flotter.
    – C'est donc ainsi que va le
monde ? Mené par le cynisme et la voracité. Une évidence qui,
manifestement, n'éveille en vous aucun état d'âme.
    – Vous connaissez la définition
d'Oscar Wilde à propos du cynisme : « Le cynisme consiste à voir les
choses telles qu’elles sont et non telles qu'elles devraient être. » C'est
ainsi que je vois le monde, hélas, ou tant mieux, et je suis parfaitement
conscient de mes contradictions. Le jeu actuel auquel se livrent les
puissances, qu'il s'agisse de la France ou des autres, me donne la nausée.
Seulement je n'y peux rien. J'ai choisi d'être diplomate au service
de mon pays. Si, demain, les règles planétaires venaient à changer, alors,
croyez-moi, je serais le premier à les appliquer, pour l'heure, c'est encore
loin d'être le cas.
    – Vous n'êtes donc pas de ceux qui
voudraient faire de ce monde un lieu plus fréquentable, plus juste...
    – À mon échelle ? Je suis un
Lilliputien. Un grain de sable.
    – Non, Jean-François, vous n'êtes ni
l'un ni l'autre. Vous êtes seulement un algébriste.
    Il
sourcilla.
    – Pardon ?
    – Les algébristes possèdent leur
propre alphabet, leur propre langage et s'expriment dans un code formel,
immuable, et dépourvu de poésie.
    Levent
resta de glace.
    – Je vous ai peiné ? reprit
Dounia avec un sourire innocent.
    Il éluda
la question, la mine sombre, et montra le plat qui venait d'être servi.
    – Si vous m'expliquiez la recette du frikeh  ?
     
     
    *
     
     
    Jérusalem, novembre 1919
     
     
    La salle
de la mairie grouillait de monde.
    Au premier
rang, le mufti de Jérusalem, Hajj [50] Amin el-Husseini, reconnaissable
entre tous grâce à sa longue robe et au bonnet écru qui ornait son crâne. À

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