Le souffle du jasmin
demande. Il
s'agit du fils d'un ami irakien. Au début de la guerre, il faisait partie d'un
bataillon turc. Sa dernière lettre indiquait qu'on l'avait muté à Damas. Vous
trouverez dans cette enveloppe son nom, les informations concernant ce
bataillon. Si vous pouviez essayer de savoir ce qui lui est arrivé...
– Je vous promets de faire de mon
mieux. Toutefois, je préfère vous mettre en garde : ne vous faites aucune
illusion. Ici, c'est le foutoir. Entre les prisonniers turcs faits par les
Anglais, ceux capturés par les Arabes, et enfin par nous… Mais, je vous le
répète : je ferai de mon mieux.
Levent
s'apprêtait à prendre congé lorsque Robert de Caix lui demanda :
–
Honnêtement, vous qui connaissez bien l'Orient croyez-vous être en mesure
d'apprivoiser ces gens ? Je veux parler des nationalistes syriens.
Levent
médita quelques secondes.
– Je crois parfois que Dieu, en
créant l'homme, a quelque peu surestimé ses capacités. Mais, comme vient de le dire
le général : je ferai de mon mieux.
10
La vie est tout ce qui nous arrive alors que nous sommes
affairés ailleurs.
Anonyme.
Alep, octobre 1919
– La ville aux mille visages,
murmura Dounia le regard fixé sur le paysage qui filait jusqu'à l'horizon.
D'ici, vue
de la citadelle, la « Rousse », comme certains se plaisent à la
surnommer, n'était qu'un grand champ de terrasses ocre et gris,
L'Irakienne
se retourna vers Jean-François Levent et ajouta :
– Saviez-vous qu’ici cohabitent
Turcs, Arabes, Kurdes, druzes, Turcomans, Juifs ? À qui il faut ajouter
des maronites, des Grecs, des Arméniens, des Syriaques, des coptes. Une vraie
tour de Babel. Pourtant, ces gens vivent en harmonie.
– Vous n'idéalisez pas un peu
trop ? À quelques kilomètres d'ici, des milliers de cadavres d'Arméniens
victimes de la folie des Turcs
jonchent le désert de Deir-el-Zor. Sans oublier qu'il y a une
soixantaine d'années les musulmans s'en sont donnés à cœur
joie en massacrant des milliers de chrétiens.
– Les druzes, rectifia Dounia.
Pas les musulmans !
– Que je sache, les druzes sont des musulmans. Pas très
orthodoxe !, j'en conviens, mais...
– Parce que vous croyez que chez
vous, en Occident, les communautés n'ont pas traversé des crises ?
Catholiques contre protestants, chrétiens contre Juifs et j'en passe !
C'est tout de même incroyable, cette manie que vous avez, vous, les
Occidentaux, de nous jeter constamment au visage nos dérives,
comme si vous étiez de purs anges. Je trouve que…
– Oh la ! s'exclama le
Français. Je ne faisais que citer un fait, c'est tout. Aucun reproche de ma
part. Je le jure !
Elle le
dévisagea, lèvres entrouvertes, comme si elle s'apprêtait à répliquer, mais
elle n'en fit rien et un sourire un peu penaud apparut sur ses traits.
– Je vous demande
pardon. Dès qu'on touche à certains sujets, je deviens incontrôlable.
– Un pardon
inutile. Vous ne m'avez rien dit d 'irréparable,
Dounia.
Il respira à pleins poumons.
– Il y a dans cet air d 'Orient un
parfum que je n'arrive pas à déterminer.
Ici, tout particulièrement. Comme si les caravanes
chargées d 'encens, d 'épices et
de soies qui traversaient jadis l'horizon continuaient de nourrir l 'atmosphère.
Bizarre.
– Non, pas tant que ça. À la
différence que le train Damas-Bagdad-Istanbul a remplacé les caravanes.
– Je sais. Je l 'ai testé.
Je me demande si le voyage en cha meau n'est
pas plus confortable. Douze jours dans un wagon poussiéreux ! Même en
première, c'est éreintant. Je ne vous parle pas de la nourriture.
Le soleil
commençait à décliner derrière le minaret de
la Grande Mosquée. Il ajouta :
– À propos de nourriture, vous
m'aviez parlé de ce petit restaurant où l'on mangeait un agneau comme nulle
part ailleurs.
Quelques
minutes plus tard, ils s'engouffraient dans un enchevêtrement de souks,
d'interminables galeries le long desquelles s'amassaient des centaines de
produits incroyablement hétéroclites ; des étals surchargés ; de
vraies fausses antiquités, objets de la vie quotidienne, bijoux,
quincailleries, odeurs et couleurs déclinées à l'infini. Finalement, ils
débouchèrent sur une cour inattendue, une fontaine et, sur la droite, un
minuscule restaurant aux chaises en paille.
Ici aussi,
l'air était chargé de senteurs mêlant épices et fruits secs, ambre, myrrhe,
safran et musc.
Elle
commanda le
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