Le souffle du jasmin
dans l’Oldsmobile récemment acquise par Nidal, direction le nord de
la capitale.
Le reste
de l’après-midi se passa en questions -réponses. Comment Chams avait-il vécu les combats ? L 'emprisonnement ? Avait -il été bien traité par les
Anglais ? Et
Fayçal ? Son armée ? Avait -il mangé à sa faim ?
Ce fut seulement en début de soirée qu'un certain
calme reprit possession de la maison.
Nidal
et son fils s'étaient installés sur la terrasse qui dominait la ville. La
plupart des chefs du mouvement El-Istiqlal les avaient rejoints, parmi lesquels
bien évidemment le naquib el Achrâf , Abdel Rahman el-Keylani et son bouillant neveu Rachid.
Une légère brise soufflait. Les premières étoiles commençaient à moucheter le
ciel.
Abdel
Rahman posa sa main sur l'épaule de Chams :
– Tu es absolument certain de ce que
tu avances ?
– Oui. Nous sommes faits comme des
rats. Fayçal est ni plus ni moins un paltoquet.
Un silence
incrédule figea l'assistance.
– Je
m'explique, reprit Chams. Fayçal doit tout aux Anglais. Il est devenu leur
poupée et fait illusion à l'étranger parce qu'il est le fils de l'émir Hussein,
le chérif de La Mecque, et parce qu'il est un chérifi , un descendant du Prophète ; mais son caractère est
trop hésitant.
– Il s'est pourtant battu bravement
contre les Turcs.
– Entendez-moi bien. Je ne dis pas
que c'est un mauvais homme, je dis qu'il est faible.
Le jeune
homme fixa son père et demanda :
– Connais-tu un dénommé
Jean-François Levent ?
– Bien sûr. Pourquoi ?
Avant que
Chams n'eût le temps de répondre, le naquib s'exclamait :
– Levent ? N'est-ce pas ce
diplomate français que tu nous as amené un jour ?
Nidal
confirma et poursuivit à l'intention de son fils
– Alors ? Qu'en est-il ?
– Figure-toi que j'ai été approché
par des officiels français qui avaient été chargés de me retrouver par le
général Gouraud en personne.
– Gouraud ? questionna une
voix. Le représentant de la France en Syrie ?
– Exact. J'ai appris, plus tard, que
ce Levent l'avait prié de retrouver ma trace.
Un sourire
de satisfaction éclaira les traits de Nidal.
– Il a donc tenu sa promesse.
– Quel rapport avec Fayçal ?
s'enquit Rachid.
– Les émissaires de Gouraud ont parlé
pendant le trajet qui nous amenait jusqu'au quartier général des Français. Je
les ai entendus dire que l'accord signé en janvier entre Fayçal et Clemenceau
avait déclenché la fureur des patriotes Syriens. Des
manifestations anti-hachémites [52] ont
éclaté un peu partout dans le pays. Personne ne veut de ce texte. J'ai cru
deviner qu'il accordait l'indépendance aux Syriens, mais sous tutelle
française. Et cela, les nationalistes s'y refusent. En conclusion : pris
entre l'enclume française et le marteau nationaliste, Fayçal est perdu.
Le naquib partit d'un éclat de rire et son
neveu en fit autant.
– Dis-moi, mon fils, quand as-tu
quitté la Syrie ?
Chams
hésita devant la mine soudain moqueuse de son interlocuteur.
– Il y a environ
quinze jours.
– Tu n'es donc pas au courant des
dernières nouvelles.
Abdel
Rahman opéra une volte-face vers son neveu, Rachid
– Dis-lui... Dis à Chams.
Rachid
s'exécuta.
– Pas plus tard que la semaine
passée, le Congrès syrien a adopté une résolution rejetant les accords
Fayçal-Clemenceau et proclamé unilatéralement l'indépendance de la Syrie dans
ses frontières naturelles, Palestine incluse. Dans la foulée Fayçal s'est fait
couronner roi constitutionnel de cette Grande Syrie. Il a désigné Hachem
el-Atassi comme Premier Ministre et le docteur Abdel Rahman Shahbandar ministre
des Affaires étrangères. Tu vois que tu es en retard, mon ami.
Chams
resta bouche bée.
– Vous êtes sérieux ? Je veux
dire est-ce que...
– Oui. L'information a été diffusée
dans tous les journaux.
Le jeune
homme médita un moment avant d'observer.
– Je ne partage pas votre optimisme.
Je vois mal les français en rester là. Ils ne lâcheront pas leur proie. On leur
a refusé Mossoul : ils prendront la Syrie.
Un nouveau
silence retomba.
Un
serviteur tout vêtu de blanc posa discrètement sur des plateaux de cuivre
ciselé des jus et des mezzés et se retira com me un
fantôme. En contrebas, les eaux du Tigre continuaient de couler, indifférentes
aux tourments des hommes.
– Tu as
peut-être raison, reconnut Rachid. Mais les Français ne pourront gouverner
durablement le pays.
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