Le souffle du jasmin
d'approuver mais on sentait qu'il n'en pensait pas
moins.
– Si c'est
ton choix, mon fils, reprit Hussein Shahid, fataliste. Néanmoins, puis-je te
demander quel métier tu envisages d'exercer une fois ton diplôme en
poche ?
L'Égyptien
anticipa la réponse de Mourad.
–
Président ! Il sera le président-directeur général de la société que je
vais fonder spécialement pour lui. La Hosni Cotton Trading Co. Ltd .
– Ah... s'étonna Hussein
Shahid.
Mourad
s’éclaircit la gorge.
– Je vais
vous décevoir, Loutfi bey... je...
– Écoute,
mon fils, arrête de m'appeler Loutfi bey. Je suis ton beau-père
maintenant ! Et mon prénom est Farid. D'accord ?
– Si vous
m'y autorisez.
– Tu
parlais de me décevoir...
– Eh
bien... Je n'ai pas l'intention de rester en Égypte après la fin de mes études.
–
Quoi ?
– Je
compte rentrer dans mon pays, en Palestine.
– Ton
pays ? Mais il n'existe pas, ton pays !
Loutfi
chuchota à Hussein :
– Ebnek bi kharraf walla é ? Ton fils radote, ou quoi ?
– Pas du
tout, s'insurgea Hussein, piqué au vif. La Palestine existe bel et bien !
J'en viens ! J'y suis né !
– Farid,
lança Mourad, puis-je vous poser une question ? Comment appelle-t-on un
territoire qui porte le même nom depuis des centaines de siècles, où des
générations entières d'individus se sont succédé, qui pratiquent la même
religion, partagent la même culture et les mêmes mœurs ? Comment
l'appelleriez-vous ?
– Ya Allah ! Ce n'est pas pareil ! Vous
n'avez jamais existé en tant que pays, vous n'avez pas de capitale, pas de
président ni de monarque, pas de Constitution. Aucun des symboles qui figurent
une nation.
Hussein
Shahid leva la main en signe d'apaisement.
– D'accord. Nous n'avons pas de capitale, pas de président...
Mais Mourad insista :
– Pardonnez-moi, Loutfi bey...
– Farid ! Mon prénom est Farid.
– Farid. Pardonnez-moi. J'aimerais seulement vous faire remarquer que
nous avons été occupés pendant des siècles. Entre les Perses, les Grecs, les
Romains, les Assyriens, les Arabes, les Croisés, les Turcs, et maintenant les
Anglais, vous croyez que nous avons eu beaucoup d'opportunités pour mettre en
place les structures d’une nation ? Allons... Un peu d'indulgence !
Et n'oubliez pas ceci : ce n'est que lorsqu'il y a un autre que l'on sait
qui l'on est.
– D'accord, d'accord, n'en parlons plus. C'est donc en Palestine que tu
souhaites vivre ?
– Si Dieu le veut.
– Et moi ? Et la mère de Mona ? Tu nous as demandé notre
avis ? C'est notre fille, tout de même ! Notre enfant !
Mourad ne put s'empêcher de sourire.
– Votre enfant, oui, Farid. Et, depuis douze jours, mon épouse.
*
Bagdad, 5 juillet 1921
– Des esclaves ! Des eunuques ! Voilà ce que nous sommes
devenus !
Ni le temps ni le nouveau visage politique de l'Irak n'avaient apaisé
la fougue de Chams, le fils de Nidal el-Safi.
Son père accueillit ses propos avec fatalisme. Le seul parti à prendre
lorsque son fils piquait ses colères était de laisser passer l'orage. Une fois
calmé, Chams redevenait un interlocuteur plus ou moins supportable.
– Je ne te comprends pas, maugréa Nidal. Au lieu de te réjouir, tu
passes ton temps à protester ! Nous avons un roi arabe. Notre ami, Abdel
Rahman el-Keylani, a été promu chef du gouvernement et s'apprête à participer à
la négociation d’un traité, qui assurera à l'Irak une indépendance formelle. Et
toi-même, n'ai-je pas été nommé au ministère de l'Éducation ?
– Bien
sûr, père. Tu es ministre et je suis fier de toi. Nous avons un roi arabe et
les membres du gouvernement irakiens ; la seule différence, c'est que
chacun d'entre vous est flanqué d'un « conseiller » britannique qui
vous interdit de tousser sans autorisation ! Fayçal lui-même n'est-il pas
arrivé en Irak accompagné de son « conseiller personnel », sir Kinahan
Cornwallis, ancien membre de l'Arab Bureau, source de tous nos maux ?
Cornwallis, âme damnée de ces chers Lawrence et Gertrude Bell ! Mais que
fait donc Abdel Rahman el-Keylani et ses idées de damaqrâtiyya ? Maintenant qu'il est chef du gouvernement, va-t-il se contenter de subir toutes
les humiliations ?
— Allons,
mon fils ! Sois raisonnable. Le gouvernement vient à peine d'entrer en
fonction. Quant à Fayçal, laissons-lui le temps. Il a pris des engagements à
notre égard. Il doit les tenir. Nous
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