Le souffle du jasmin
jetant des reflets mauves sur la mer.
Pourquoi, Allah ? Avant que se lève ce vent de folie, tout était si
paisible sur cette terre. Pourquoi, Allah ? Que s'est-il donc passé pour
que le rejet de l'autre se mette à couler dans les veines des hommes ?
Les yeux du Palestinien se brouillèrent. Le paysage avait disparu derrière
ses larmes.
*
Le Caire, 20 mai 1921
Mourad se prit la tête entre les mains. Effondré.
— Ce n'est pas possible ! Je ne peux plus rester ici. Je dois rentrer
en Palestine. Ma place est auprès de mes parents.
Taymour n'émit aucun commentaire. Il paraissait aussi désespéré que son
ami.
– Tu as entendu les nouvelles, comme moi, reprit le Palestinien. C'est la
guerre !
– Non, mon ami, non. Pas la guerre. Ce ne sont que des escarmouches entre
extrémistes. D'ailleurs, le calme est revenu. Les Anglais ont renvoyé les deux camps dos à dos.
– Tu plaisantes, Taymour ? Les Anglais ? Sais-tu ce que m'a
confié Ahmed qui est, comme tu t'en doutes, toujours parfaitement informé ?
– Ahmed ? De quel Ahmed parles-tu ?
– Ahmed Zulficar. Ouvre grandes tes oreilles : selon certaines
sources, ce seraient les Britanniques eux-mêmes qui auraient encouragé les
Palestiniens à attaquer les Juifs. Quelques jours avant que n'éclatent les émeutes,
un colonel du nom de Waters Taylor, qui n’est autre que le conseiller financier
de l'Administration militaire de Palestine, a rencontré en secret le grand
mufti Hajj Amin Hussein et lui a dit qu'il devait saisir une occasion pour
démontrer au monde combien le sionisme était impopulaire, non seulement auprès
de l'Administration anglaise de Palestine, mais aussi auprès de Whitehall. Il a
ajouté que si des troubles suffisamment violents se produisaient, le général
Bols [75] ainsi que le général Allenby recommanderaient d'abandonner le projet
d'instauration d'un foyer national juif. Et le colonel de conclure que la
liberté ne pouvait s'obtenir que par la violence. Et tu me parles des
Anglais ? Je les hais !
– Mourad, mon cœur, que t'arrive-t-il ?
Attirée par les éclats de voix, Mona les avait rejoints dans le salon.
– Pardonne-moi. Je me suis laissé emporter. Je suis désolé.
Taymour lui lança sur un ton de reproche :
– Tu vas être père, désormais, dois-je te le rappeler ? Tu n'as donc
plus le droit de te laisser guider par des pulsions.
– Tas raison. Mais mettez-vous à ma place !
Mona vint près de son mari.
– De quoi parliez-vous ?
– Il s'est passé des choses graves en
Palestine.
– Tes parents ?
– Non. Ils vont bien. Mon cousin Latif, qui est arrivé hier au Caire, m'a
rassuré.
– Ton cousin ? Ici ?
– Oui. Il est venu rencontrer des nationalistes syriens et irakiens. Je
pense qu'ils veulent tenter de créer un bloc unitaire.
Mona prit la
main de son époux.
– Alors, ces choses graves dont tu parlais...
– Des affrontements ont opposé les Juifs et nous. D'après Latif, ce fut
d'une incroyable violence. Il y a eu des dizaines de morts de part et d'autre.
Et, toujours d'après Latif, nous n'en serions qu'au début.
Il essaya de
maîtriser sa nervosité et enchaîna :
– Latif, nommé président d'un Congrès arabe qui s'est déroulé à Haïfa, a
rédigé une déclaration au nom de tous les participants qu'il a expédiée à de
nombreux ministres des Affaires étrangères, en France, en Angleterre, en
Italie. Il dit clairement que, s'il n'y avait pas eu la Déclaration Balfour,
jamais nous n'en serions arrivés là.
Le Palestinien
arpenta le salon de long en large.
– Mais qu'ont-ils donc à vouloir vivre sur notre terre ? Le monde
n'est-il pas assez vaste ! Si encore il n'y avait que les sionistes !
– Que veux-tu dire ? s'étonna Mona.
– Latif m'a raconté aussi qu'on voit un peu partout des illuminés, il m'a
parlé de millénaristes allemands et américains.
– Des millénaristes ?
– Ce sont des hurluberlus qui soutiennent l'idée d'un règne terrestre du Messie,
après que celui-ci aura chassé l'Antéchrist ou le diable, que sais-je ! Il
paraît qu'on voit surgir ici et là des missionnaires venus du Maine, des colons
luthériens, je ne sais plus ! Ce sont les mêmes ou d'autres. Sans oublier
les membres d'une secte, la Communauté du Temple, dont j'avais déjà aperçu le
quartier à quelques mètres de notre maison, à Haïfa. Mais qu'ont-ils
tous ?
— Allons, calme-toi, insista Mona. Je t'en
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