Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
Vom Netzwerk:
singulier. Impressionnant, même. À qui devait-il le
plus ? À en croire Mona, il était le portrait craché de son grand-père.
Oui. Mais lequel ? Hussein Shahid ou Farid Loutfi bey ? Là
commençaient les divergences. La seule certitude, c'est qu'il n'avait rien de
Mourad. Tant pis. Si Dieu leur accordait un autre enfant, qui sait ?
Celui-ci lui ressemblerait. Autant croire aux miracles. Mona allait avoir trente-six
ans. Un âge où être enceinte devenait périlleux. Qui sait ?
    – Qu'est-ce qui t'amuse autant ?
demanda Mourad.
    – Goha !
    – Goha ? Le simplet ?
    – Oui. C'est sûrement le personnage
le plus stupide de la littérature [89]  !
Écoute : « Oh ! Fatima chérie, dit Goha, la boisson te rend si
belle ! » « Mais je n'ai rien bu, dit sa femme. »
« Bien sûr, rétorque Goha, c'est moi qui ai bu ! » Stupide,
non ? Il est...
    La voix de Hussein Shahid
l'interrompit.
    – Il n'est pas plus stupide que les
hommes en chair et en os !
    Le grand-père de l'adolescent
s'affala dans un fauteuil et pointa son index vers Karim.
    – Quel âge a-t-il maintenant ?
Je n'ai plus la notion du temps.
    – J'ai seize ans, et bientôt
dix-sept.
    – Oh ! Ne te presse pas trop. À
un moment donné, la vie se chargera d'accélérer les jours pour toi. À seize
ans, tout va lentement. À trente, le train
s'accélère. À soixante, une année passe plus vite qu'une heure.
    Il
répéta :
    – Ne te
presse pas. Fais comme ton grand-père : je ne me souviens plus du tout de mon âge, tellement il a changé !
    Le garçon
eut un rire espiègle.
    – Gado [90]  ! Tu
as soixante-sept ans ! Soixante-sept !
    – Si tu
les dis.
    Hussein
fixa Mourad.
    – Où est ta
mère ?
    – Au marché,
avec Mona.
    – Ce n’est
pas très prudent, avec tous ces fous en liberté. Je leur avais
recommandé de ne pas sortir !
    – Rassure-toi.
Soliman les accompagne. La situation est calme à Haïfa.
    – Soliman ?
Notre poète ? Je le vois mal en garde du corps.
    – Détrompe-toi,
mon frère est un faux tendre. Sous son caractère pacifique, je le sens capable
de grandes colères.
    – Alors, tu
connais mon fils mieux que moi.
    Hussein
changea brusquement de sujet. Ses traits s'assombrirent.
    – Je suis
inquiet, Mourad. Je ne sais pas comment nous allons nous en sortir.
    – Tu veux
parler des affaires, je suppose. Oui. La situation n'est pas rose. Mais ne te
fais pas de soucis. Je pars avec Latif en Égypte et en Syrie la semaine
prochaine afin d'essayer de récolter un peu d'argent au bénéfice de notre
Bureau de la Palestine. J'en profiterai pour trouver de nouveaux débouchés à
nos produits. Ne t'inquiète pas.
    Hussein
secoua la tête. Il avait l'air exténué. Sur son front vieilli, les rides
formaient des creux.
    – Un jour,
il y a longtemps, alors que je constatais que nos rivaux, Brohnson
Shipshandlers , avaient triplé leur chiffre
d'affaires en moins de deux ans, pendant que nous végétions, je me suis écrié
devant ton frère : « J'aurais mieux fait de vendre mon affaire quand les Brohnson voulaient l'acheter ! Bientôt, elle ne
vaudra plus rien. » Eh bien, c'est fait. Elle ne vaut plus rien !
    – Allons, geddo , protesta
Karim. Ne t'énerve pas. Tu sais que ce n'est pas bon pour ta santé. D'ailleurs,
papa a raison. Les affaires vont reprendre dès que les Juifs repartiront de là
où ils sont venus. Inch Allah !
    Hussein
sourit. Mais son sourire faisait plutôt penser à une grimace.
    –
Inch Allah, habibi , inch Allah !
    Il tendit
les bras vers son petit-fils :
    – Viens ! Viens m'embrasser.
    Karim se leva aussitôt et saisit
la main de son grand-père qu'il porta à ses lèvres.
    – Tu es un brave garçon. Que Dieu
te garde, et...
    Soudain, le reste de la phrase
demeura comme suspendu dans l'air. Un hoquet secoua le corps de Hussein. Il
libéra sa main et la posa sur sa poitrine. Son souffle se figea. Sa main
retomba mollement. Un soupir. Le silence.
    – Geddo   ! hurla Karim en se jetant à genoux
devant son grand-père. Vite, papa ! Il est mal. Grand-père !
Grand-père !
    Mourad,
qui s'était précipité, crut entendre le vieil homme balbutier :
« J'aurais mieux fait de vendre mon affaire... »
    Mais
c'était sans doute une illusion. Les morts ne parlent pas.

 
     
     
     
     
     
     
     
     
     

Septième partie
     

 
     
     
     
23
     
     
     
     
    La mouette, par ses cris et ses mouvements d'ailes, s'efforçait en vain de
nous avertir de la

Weitere Kostenlose Bücher