Le souffle du jasmin
les
autres, en cours d'ensevelissement, à un grand pavillon où bourdonnaient déjà
des pompes. Des femmes, oui, des femmes, vissaient des fenêtres sur les murs de
bâtiments sortis des sables.
À l'évidence, ces gens avaient travaillé toute la
nuit, à la lumière de projecteurs alimentés par un groupe électrogène monté sur
camion.
Des femmes, encore, plantaient des
arbrisseaux...
Rien de tout cela n'existait la
veille encore !
Mais ces gens... ces gens lui
barraient l'accès à son puits !
Il cria. Quelques personnes de l'autre côté de la
clôture levèrent les yeux ; elles le désignèrent du menton.
– Vous m'empêchez d'accéder à mon puits !
protesta-t-il.
Ils répondirent dans une langue inconnue.
Il revint sur ses pas, raconta à sa femme et à ses
enfants ce qu'il avait vu, enfourcha son âne sans même boire son thé matinal et
trotta jusqu'à la ville. Et il se rendit chez le maire.
Il y trouva deux autres cultivateurs,
racontant la même histoire.
– Il y a de quoi perdre la
raison ! On se couche dans un Pays et on se réveille dans un autre !
– Ils n achètent même plus les
terres, ils s'en emparent ! s'exclama le maire. Ils ont déjà créé
comme ça, en une nuit, trois villages dans la région !
Comment pouvaient-ils savoir que
venait de débuter l'opération Homa Oumigdal « Murailles et tour », qui prévoyait
l'implantation de cinquante et une nouvelles localités sionistes sur une durée
de trois ans, à raison d'une par nuit ? Elle devait s'accomplir par
surprise et très rapidement, afin de mettre les Anglais et les Arabes devant le
fait accompli.
Les autorités anglaises levèrent les
bras au ciel : que voulez-vous, on n'allait quand même pas démolir ces
villages ?
Les armes, qui n'avaient cessé de
parler depuis un an, reprirent de plus belle leur langage de mort, et la nuit,
dans les campagnes, le bruit des détonations devint aussi familier que le
coassement des crapauds.
*
Jérusalem, le lendemain
Le léger sourire qui transparaissait
à travers sa barbe se voulait rassurant. Mais il était loin de l'être.
Dans sa somptueuse maison de la
vieille ville, à Jérusalem, Hajj Aminé el-Husseini avait pris place dans un
grand fauteuil de bois précieux, incrusté de nacre, face à son visiteur, Mourad
Shahid, venu le consulter sur les moyens de faire pression sur les Anglais afin
qu'ils mettent fin aux flots de réfugiés qui continuaient de se déverser dans
le pays. Depuis la création de la Hapa'alah, organisation
d'immigration illégale, la déferlante humaine semblait incontrôlable. L'étau se
refermait sur la Palestine.
Après en avoir bu une longue gorgée,
le mufti reposa son verre de thé noir près de la théière en cuivre, sur un
plateau ouvragé.
– L'homme droit discute avant le combat, dit-il, afin
d'éviter de verser du sang. Mais si l'adversaire refuse de l'entendre,
l'honneur lui commande de dégainer son sabre. Nous avons parlé. Ils n'ont pas
entendu. Nous dégainons.
– Nous ne possédons pas d'armée, fit remarquer Mourad.
De nouveau ce sourire radioactif.
– C’est exact. C'est pourquoi nous sommes tous des soldats. Tous,
répéta le mufti. Les femmes, les enfants, les vieillards et même les infirmes.
Nous nous battrons avec les armes dont nous disposons. Quel homme ne possède
pas de bâton ? Sinon, il nous restera les pierres.
Il demanda d'un air lointain :
– As-tu déjà entendu le cri des pierres ?
Puis il reprit son verre et sirota le breuvage aromatique.
– Nous sommes moins organisés que les Juifs, rappela Mourad.
Le sourire se fit ironique.
– Connais-tu la vésicule biliaire ? C'est une toute petite poche
sous le foie. Elle ne représente même pas la cinq centième partie de ton corps.
Mais quand elle se crispe, c'est tout le corps qui souffre, qui est obligé de
se coucher et ne peut faire le moindre effort.
Il observa une pause.
– Tu proposes de faire appel à l'Amérique ? Je doute qu'elle
t’écoute. Et qui l'appellera au secours ? Avec quelle autorité ? Et
que leur proposeras-tu en échange ?
El Husseini écarta les bras et les laissa retomber, désabusé :
– Nous n'avons
pas de pétrole, mon fils. Nous n'avons rien à offrir.
Mourad ne put qu'acquiescer. À un moment, il avait espéré que
l'Istiqlal ferait retentir la voix du monde arabe parmi les nations. Mais,
depuis la mort de Fayçal, l'Istiqlal ressemblait à une tente de fête
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