Le souffle du jasmin
coupe vers Nidal.
– Vous
voudriez bien me resservir de votre nectar, mon ami ? Ensuite, je vous
annoncerai une nouvelle qui vous surprendra et qui, je crois, ne laissera pas
ma douce épouse indifférente.
Dounia
fronça les sourcils.
– Une
nouvelle ?
Le
Français attendit que Nidal eût fini de verser le vin pour déclarer sur un ton
solennel :
– Voilà,
mes amis. J'ai l'intention de quitter les Affaires diplomatiques.
Un silence
stupéfait succéda à son annonce.
– Tu veux
dire... que tu vas... démissionner ? bredouilla Dounia.
–
Parfaitement ! Je me donne encore un an. J'aurai alors cinquante ans.
L'heure sera venue de mettre un terme à près de trente ans de bons et loyaux
services et de consacrer les années à venir à vivre, tout simplement.
Nidal leva son verre.
– Je bois à cette sage
décision !
– Et puis,
je vous l'avoue, je suis las. L'affaire syrienne a été la goutte de trop.
Pendant des mois je me suis battu pour que mon gouvernement ouvre des
négociations avec les nationalistes. Blum a accepté. Mieux : un traité a
été signé entre les deux partis, qui stipule que la France rendrait à la Syrie
son indépendance dans un délai de cinq ans en échange, bien entendu, de divers
avantages politiques économiques et militaires. Or, à ce jour, rien n'a été
fait dans ce sens. Et tout porte à croire qu'avec la crise qui se profile le
traité sera définitivement enterré.
Jean-François
vida son verre d'un trait et reprit en fixant Dounia :
– Un jour,
tu m'as posé une question : « Vous, Jean-François. Où vous
placez-vous ? Du côté des gentils ? Des méchants ? Dans lequel
des deux camps êtes-vous à l'aise ? »
– Oui. Et
tu m'as répondu : « Du côté de la France. » Aurais-tu changé
d'avis ?
–
Aucunement. Mais j'apporte une nuance : je ne veux plus obéir aux ordres
et subir. Je veux essayer – avec mes très modestes moyens – d'influer sur la
politique étrangère de mon pays.
– Ainsi,
vous ne démissionnerez pas vraiment, observa Nidal dans un sourire. Vous
occuperez une autre case sur l'échiquier, c'est tout.
Lèvent
médita un moment avant de laisser tomber :
– Oui.
Mais nul ne me déplacera plus jamais à sa guise
*
Beyrouth, 5 avril 1937
Nous
étions au printemps. Mais rarement printemps libanais n'avait paru aussi frais.
Mourad
Shahid emprisonna violemment la main de Latif el-Wakil.
– Je ne
comprends pas ! Aurais-tu perdu la tête ? Cette rencontre n'était pas
prévue ! Toi qui as toujours été partisan de la non-violence !
Qu'est-ce qui t'a pris ? Réponds-moi ? Pourquoi, pourquoi
Latif ?
– Parce
que nous n'avons plus le choix ! Parce que nous sommes dos au mur. Pendant
tout ce temps, moi aussi j'ai cru que la non-violence était la plus juste des
attitudes. Je me suis trompé !
– As-tu
oublié les propos que tu tenais au Caire chez Groppi ? Tu disais :
« Attaquer des Juifs innocents, les pourchasser, les tuer. Ce n'est pas
ainsi que nous gagnerons la sympathie du monde. » Tu...
– Oui,
Mourad ! Mais ces propos remontent à quinze ans ! Les choses ont
changé depuis !
– Tu m'as
donc fait venir à Beyrouth sous un faux prétexte. Il ne s'agissait pas de
récolter des fonds, mais de rencontrer ce bonhomme. Tu n'es qu'un
manipulateur !
Latif
el-Wakil eut un mouvement de recul sous l'injure et son visage devint blanc.
– Prends
garde, Mourad ! Surveille ton langage. Feu ton père ne t'a pas éduqué pour
que tu manques de respect à tes aînés.
– Mon
père, paix à son âme, ne m'a pas éduqué non plus pour que je succombe aux plus
bas instincts.
Il fixa
Latif, lèvres tremblantes.
– La loi
du Talion. C'est elle que tu veux appliquer ? Une vie juive pour une vie
arabe ? Un enfant juif contre un enfant arabe ? Mon fils contre la
fille de Josef Marcus ? Ne vois-tu pas où cette loi nous a menés depuis
vingt ans ?
–
Écoute-moi, Mourad. Écoute-moi bien. Ensuite, tu seras libre de me suivre ou
non. Depuis cette maudite Déclaration Balfour, notre terre file entre nos
doigts comme du sable entre les doigts de la main. Le plan Peel sera appliqué
envers et contre tout. Ne vois-tu pas que les Juifs ne sont plus simplement des
colons, mais des combattants ? Ils ont formé des unités militaires :
l'Irgoun, la Haganah. D'autres groupes suivront. Ils sont dirigés par des
hommes éduqués qui n'ont pas tes états d'âme. Des Biélorusses,
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