Le souffle du jasmin
donc.
– Oui...
– Des
officiers dans votre famille ?
– Aucun.
– Pourquoi
souhaitez-vous entrer à l'Académie ?
– Pour
servir ma patrie.
–
Quelqu'un vous a-t-il recommandé ?
–
Recommandé ?
– Vous
m'avez bien compris.
– Vous
voulez dire... parrainé ? Non.
–
Avez-vous participé aux manifestations du Midan Ismaïlia ?
– Oui...
– C'est
bien, vous pouvez disposer. Nous vous ferons c onnaître
notre décision par la
poste.
La réponse
arriva une semaine plus tard. Le cœur battant, il
décacheta l'enveloppe de papier brun. Candidature refusée.
Et
maintenant, que faire ? Végéter ? Se laisser crever ?
Il n'en
était pas question ! Il allait risquer le tout pour le tout.
Il se
leva, enfila sa veste râpée, la seule, et sortit de la maison, pleinement
conscient de son inconscience. Se rendre au domicile du nouveau
secrétaire d'État, le général Ibrahim Khaïry pacha ? Sans rendez-vous de
surcroît ? Peu importait, puisqu'il n'avait plus rien à perdre.
Une heure
plus tard, il sonnait chez l'officier.
Un
domestique lui ouvrit.
– Vous
souhaitez rencontrer Son Excellence ? Impossible ! Il est occupé.
–
J'attendrai.
– Il est
occupé, te dis-je !
– J'attendrai
le temps qu'il faudra.
Devant le
ton déterminé du visiteur, le domestique finit par se résigner. Il s'éclipsa
pour réapparaître peu après.
– Le pacha
t'attend. Suis-moi.
Gamal fut
introduit dans une grande pièce aux volets clos. Le général était assis, les
mains posées bien à plat sur la surface de son bureau.
–
Alors ? Que désirez-vous ?
– Déjà
vous remercier de m'avoir reçu.
Le général
attendit la suite .
– C'est à
propos de l'académie militaire.
–
Oui ?
– Je ne
bénéficie pas de passe-droit.
– Je ne
vous comprends pas.
– Il
semble que les étudiants n’ont de chance d’y être admis que s'ils sont...
recommandés.
– Vous
voulez dire… pistonnées ?
Gamal
opina.
–
Avez-vous présenté une demande ?
– Absolument.
Et j'ai passé avec succès l’examen médical. On m'a quand même refusé l'accès.
Il est vrai que je ne suis qu'un fils de facteur.
Il prit
une courte respiration, puis :
– Mon
général, dites-moi, franchement si c'est la règle du népotisme qui prédomine et
je laisserai tomber.
Khaïry
parut troublé par l'audace dont faisait preuve ce jeune homme. Quelques
secondes passèrent, il suggéra :
– Représentez-vous
à la prochaine session.
– Mais...
–
Représentez-vous.
Nasser
obtempéra.
Une
semaine plus tard, il se retrouva pour la seconde fois devant le comité, celui-là
même qui lui avait signifié son refus. À une nuance près : c'était Khaïry
pacha qui présidait.
La voix du
général tonna :
–
Admis !
Enfin !
Enfin le destin semblait lui sourire. Il avait dix-neuf ans. À l'avenir, tous
les rapports le confirmeraient : « Le cadet est un bon sujet. »
*
Une
maison aux environs de Haïfa, 8 juillet 1937
– Soliman,
Mourad, je vous en conjure ! Si on venait à vous poser des questions, vous
ne savez rien, vous n'avez rien vu, rien entendu, vous ne connaissez
personne !
Mourad
n'avait jamais apprécié de recevoir des ordres, pourtant il acquiesça. Et pour
cause, son interlocuteur ne pouvait qu'inspirer le respect. D'abord parce que
depuis peu il était l'époux de Samia, et surtout, parce que c'était Abd
el-Kader el-Husseini, désormais figure emblématique de la résistance. Vêtu d'un
short et d'une chemise grise sous un ample manteau, la tête couverte du
keffieh, Abd el-Kader aurait pu passer pour un simple chef de clan. Seuls ses
gros brodequins militaires trahissaient des activités moins paisibles. Il était
entouré de Latif el-Wakil et d'une dizaine d'hommes. À leurs pieds,
deux caisses, couvercles descellés et une dizaine de
Mausers 7.64 luisant dans la pénombre.
– Wehyat
Allah , supplia Samia en saisissant le bras de son mari, au nom de Dieu, sois prudent.
– Elle a
raison, approuva Mourad. S 'il t 'arrivait
quelque chose, Abd el-Kader mon ami, nous
perdrions cent hommes d'un coup.
Il montra
le ventre rond de sa sœur.
– Et pense
à ton futur enfant. Elle ou lui va avoir
besoin d'un père.
– Ne vous
inquiétez pas mes amis. J'ai signé un pacte avec
la mort. Elle ne me prendra pas avant que la Palestine ne s oit
libérée.
– Elle ne
te prendra jamais ! se récria Samia. Jamais. Je ne t'ai pas
attendu toutes ces
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