Le souffle du jasmin
bien l’actuel haut-commissaire – sir Miles
Lampson – et son jeune roi Farouk à la baguette en Falstaff impérieux, cynique
et brutal, refréna un sourire :
– Pas autant qu'il serait souhaitable, monsieur.
Sur quoi Wyndham alla se rasseoir à son bureau, tandis que sir Anthony
Eden demeurait un long moment figé dans la réflexion.
Ah ! Ces Arabes, ces Juifs ! Cet Orient ! S'il ne tenait qu 'à lui, on
appliquerait la méthode suggérée à une époque par son collègue, l'actuel chancelier de l'Échiquier, Winston Chur chill :
gazer les empêcheurs de tourner en rond. D 'autant qu’il n'y avait pas que l'Orient et les Arabes, les Juifs !
Voilà un certain temps déjà que l'Angleterre était
confrontée à un « fakir séditieux », comme l'avait surnommé si
justement Winston : ce Mohandas Gandhi qui se permettait de gravir à
moitié nu les marches qui conduisaient au palais du vice-roi ! Voilà dix
ans qu'il s'entêtait à réclamer l'indépendance de l’Inde. Indépendance,
indépendance ! Qu'avaient-ils tous avec cette obsession ?
*
Le Caire,
20 janvier 1938
Ce 20 janvier, il valait mieux renoncer à sortir, à moins que ce fût
pour se noyer dans les marées humaines qui célébraient le mariage de Farouk. On
avait réduit le prix des transports publics de 70 % afin de permettre au
plus grand nombre de se rendre dans la capitale. Les rues et les avenues du
Caire scintillaient de mille feux, tandis que, sur le Nil, des centaines de
felouques se lançaient sur les flots, la proue mouchetée de lampions.
L'allégresse du petit peuple était d'autant plus extraordinaire que la
mariée, baptisée Farida, qui signifie « l'Unique », n'étant pas de
sang royal, figurait la bergère qui épouse son seigneurs.
Vers 11 heures du matin, une voiture du parc royal s’immobilisa devant
la villa d'Héliopolis où résidait la promise Accompagnée par son père, la jeune
fille s’y installa et le véhicule prit la direction du palais de Koubbeh.
Une heure plus tard, la voiture en franchissait les grilles.
Le roi, en grand uniforme de l'armée, la poitrine décorée de cordons et
de médailles, attendait dans le grand salon d’apparat. Selon le rituel
musulman, la future reine fut conduite dans une pièce voisine et c'est uniquement son père, Farid Zul ficar, qui alla à la
rencontre du souverain.
– Votre Majesté consent-elle à accepter ma fille Farida
pour épouse ?
– J’y co nsens, répondit Sa Majesté.
Le contrat fut alors présenté successivement à la signature lu roi,
du père de la mariée et de deux témoins. C’est seulement à ce moment-là que la jeune femme fit son
apparition, vêtue d'une robe de cour prolongée par une traîne d e tulle longue
de cinq mètres. À son cou étincelait un lourd collier de rubis et de
perles. Le visage était entouré d'un voile de dentelle, cadeau de l'impératrice
Eugénie à l'une des filles du khédive Ismaïl, en 1869, lors de l'inauguration
du canal de Suez.
Une fois la cérémonie achevée, le couple royal prit
place dans une voiture décapotable d'un rouge flamboyant et traversa la ville.
La foule était en délire. Ils étaient beaux, ils étaient
jeunes. Ils étaient le roi et la reine. Une véritable prairie de coquelicots
formée par les tarbouches écarlates s'étalait sous le ciel bleu métal. On
entendait, ici et là, cette expression typiquement égyptienne dont le sens
profond échappe à toutes les interprétations : « Ils sont beaux comme
la lune. » Le cortège royal glissa sous les arcs de triomphe fleuris
érigés le long du parcours. Ce 20 janvier, le temps d'une fête, l'Égypte
oubliait sa misère, les brimades anglaises, sa désespérance millénaire.
Les festivités se prolongèrent durant trois jours et
trois nuits, rythmées par une série de spectacles dignes des Mille et une
nuits. Sur des estrades improvisées, en plein cœur du Caire, on vit apparaître
la grande Badia, la Mistinguett égyptienne, Oum Kalsoum, la chanteuse-déesse,
et une jeune danseuse, Tahia Carioca, encore à ses débuts.
Au palais, le roi présida trois banquets organisés
successivement en l'honneur du gouvernement, du corps diplomatique des hauts
fonctionnaires.
Des télégrammes adressés du monde entier s'amoncelèrent
son bureau. On pouvait y lire entre autres les vœux d’Adolf Hitler.
Les noces de Farouk avaient déclenché d'Alexandrie un
enthousiasme exceptionnel. Pour un pays
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