Le spectre de la nouvelle lune
en connaissait des secrets, en raison même des services honnêtes, scandaleux, voire criminels qu’on venait lui demander et qu’on lui payait ! Cela réduisait au silence plus d’un et plus d’une ! Arrêtée, elle n’aurait eu qu’à parler pour faire tomber de leur piédestal certains de ces personnages bouffis d’orgueil qui se croient tout permis. La poursuivre en justice aurait été aussi dangereux pour ses accusateurs, et même pour certains juges, que pour elle !
Le frère Antoine fixa son interlocuteur.
— Est-ce pour cela qu’elle n’a jamais été déférée en justice… mais assassinée ? demanda-t-il.
— Je ne sais. Mais est-ce exclu ?
— Non, dit l’assistant des missi en se levant. Eh bien, en voilà assez pour l’heure. Pour compléter les indications que tu m’as données, je compte passer, sur le chemin du retour, par la chaumière qu’habitait Fabienne dans la forêt de Lancosme. Veuille me fournir un guide !
— A une demi-lieue d’ici, Estève le bûcheron travaille sur une coupe. Un de mes novices va te mener jusqu’à lui et celui-ci te guidera ensuite. Il connaît la forêt mieux que quiconque. De plus, il parle assez correctement le francique.
La maison de Fabienne, assez vaste, faite de solides rondins et couverte de bardeaux, était située dans une étrange clairière au pied d’un chaos constitué par des blocs de grès qu’on eût dit posés au hasard par une main géante. Elle était flanquée d’un côté par un jardin où poussaient des légumes ainsi que des plantes à usage médicinal ou magique, d’un autre côté par un enclos où se trouvaient trois chèvres et deux porcs de couleur noire, et par un poulailler abritant une douzaine de gallinacés. A une centaine de pas, près d’une mare, s’ébattaient plusieurs couples de canards. Sur un mât était cloué un pigeonnier.
Le frère Antoine, après avoir hésité quelques instants, se décida à pénétrer dans l’antre de « la sorcière » tout en prononçant des prières et en récitant des formules connues pour exorciser les démons et conjurer les maléfices. L’entrée donnait directement sur une grande salle. Les murs, sur deux côtés, étaient garnis d’étagères sur lesquelles étaient disposés des objets de toutes formes et grandeurs, des mortiers avec leur pilon, des sacs et sachets, des paniers, des bocaux contenant des crapauds, des araignées vivantes, des vers de terre et scolopendres, une salamandre, des peaux de serpents, et de nombreux ustensiles, des écuelles, des choses bizarres à usage mystérieux, des statuettes de glaise avec tantôt une touffe de poils, tantôt des rognures d’ongles, ou encore une dent… Envoûtements sans doute…
Sur le troisième côté étaient alignés des foyers comme le frère Antoine n’en avait jamais vu. Ils permettaient de faire des feux de dimension réduite sur lesquels, grâce à des grilles, il était aisé de poser des récipients pour préparer des mets, des décoctions, des potions…
Dans la chambre de Fabienne, qui donnait sur la grande salle, se trouvaient une couche et deux coffres dans lesquels étaient rangés des vêtements, dans l’un ceux de l’hiver, dans l’autre ceux des temps chauds. Ces vêtures étaient de très bonne étoffe et accompagnées de parures d’une étonnante richesse. Dans un angle étaient posées une aiguière et une cuvette avec, à proximité, des objets de toilette. Rien qui pût passer pour démoniaque.
Dans le logis qui n’était pourtant pas gardé et dont la propriétaire était notoirement morte, aucun voleur, apparemment, n’était venu faire main basse sur quoi que ce soit. Tout était en ordre comme si elle continuait à y veiller. Le moine rejoignit le bûcheron qui l’attendait sur le seuil et il lui fit part de son étonnement.
— Tu es le premier qui aies osé entrer là-dedans depuis qu’elle a été tuée, indiqua Estève. Fabienne avait souvent averti sa pratique et ses connaissances que ceux qui pénétreraient à son insu chez elle, qui chercheraient à percer ses secrets, ou, pire, à lui dérober quelque chose seraient frappés par des maux effroyables, périraient dans une déchéance et des souffrances terribles, victimes de sorts dont, seule, elle était capable d’arrêter les effets… Tu comprendras que personne ne se soit risqué à affronter de tels maléfices… jusqu’à cet instant.
Le frère Antoine fut parcouru par un frisson.
— Pourquoi
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