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Le spectre de la nouvelle lune

Le spectre de la nouvelle lune

Titel: Le spectre de la nouvelle lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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coquette ? Quelle que soit la réponse, pourquoi aurait-elle péri noyée ? Conséquence d’une orgie ? Tuée par un jaloux ? Autant de questions qui n’ont même pas été soulevées. Quant à Bénédicte, cette pauvre lavandière, laide, sale et sotte, qui, nous dit-on, ne s’éloignait jamais de sa masure, de son poulailler ni de son clapier, vous paraît-il croyable qu’elle ait participé à des bacchanales ?
    — Certes, on ne peut jurer de rien, dit le frère Antoine, mais enfin…
    — Et concernant Paquette ?
    — Il est possible, après tout, répondit Timothée, que cette commerçante avisée, dure, âpre au gain, mais étrange par bien des côtés, mystérieuse en tout cas, ait mené secrètement une existence scandaleuse.
    — Quant à Fabienne, si je vous ai bien compris, l’abbé Valentin la tient pour une stryge prenant part à des orgies sataniques. Le bûcheron Estève – singulier bûcheron soit dit en passant – affirme que cette magicienne non seulement ne montrait aucun goût pour les débauches démoniaques, mais encore les condamnait avec force. Pour ma part, je serais tenté de croire le bûcheron plutôt que l’abbé… sauf… eh bien, sauf qu’on ne tue pas quelqu’un en lui plantant un épieu dans le cœur sans de solides et étranges raisons…
    Le missus hocha la tête avec une expression sévère.
    — Et que dire alors de ce double assassinat du « button aux fades » ? intervint Doremus. Rien ne s’est déroulé comme le comte Sturbius l’avait décrit.
    — Mais, d’abord, pourquoi s’en prendre à Godfrid et à son fils ?
    — Oui, seigneur, pourquoi ? A ce sujet, un fait, immédiatement, m’a frappé : je m’attendais à trouver une épouse et mère désespérée, un fils aîné effondré, des serviteurs marqués par le chagrin. Les uns et les autres montraient, certes, de l’affliction, mais, si je puis dire, mesurée. Rien, dans leurs attitudes, sur leurs visages, n’exprimait un deuil inconsolable, une perte insupportable. Le crime, pourtant, est récent… Il doit bien y avoir une raison à cela… Le retour si rapide d’Albert, l’aîné qui servait en Bretagne, et qui a repris aussitôt en main le domaine, avec une sorte d’alacrité, n’est pas non plus si naturel qu’il y paraît. Aussi…
    — Je t’écoute.
    — Aussi ai-je accordé une attention particulière à la façon dont étaient traités serviteurs et esclaves. Ce que j’ai constaté ? Pour tout logement de pitoyables masures, pour tout vêtement des guenilles ! Ils tremblaient de peur dès qu’on s’approchait d’eux. Et que dire des conditions affreuses dans lesquelles se déroulaient les travaux destinés à transformer un marais en étang poissonneux : tous ces malheureux, presque nus malgré le froid, dans l’eau jusqu’à mi-corps, saignés par les sangsues, hâves, épuisés, creusant la glaise et la vase, transportant sans arrêt de lourdes charges de boue, sous les coups de fouet de gardiens qui les injuriaient en hurlant…, lesquels doivent leur fournir juste de quoi ne pas mourir de faim… et encore… Six de ces pauvres hères ne sont-ils pas morts à la tâche en quelques mois ? Et qu’on n’aille pas prétendre que Godfrid et les siens n’étaient pas au courant ! N’accordaient-ils pas une importance particulière à la création d’une réserve poissonneuse ? Ne venaient-ils pas souvent en inspecter les travaux ?
    — Voilà donc, s’indigna l’abbé saxon, ce que sont en vérité ces maîtres qu’on a osé nous décrire à Bourges et à Châteauroux comme pétris de bonté, attentifs à mettre en œuvre les préceptes les plus exigeants des Évangiles… Oh ! mais croyez-moi, on ne nous aura pas menti impunément !
    Le missus se tourna vers Timothée.
    — Et sur le domaine Tanno… puisque désormais il faut s’attendre à tout ?
    — Certes, je n’ai vu, seigneur, ni esclaves en haillons, ni domestiques affamés, ni colons apeurés… ni au cœur du domaine, ni sur le manse Paquette… Il en est des Bavarois – je veux parler de Tanno et de sa femme – comme de tous les gens : il y en a peu d’exquis, beaucoup de médiocres et bon nombre de détestables. Tanno et Wanda n’appartiennent certainement pas à la plus agréable espèce. Cependant, je ne crois pas que la disparition, la mort peut-être, de Paquette ait quelque rapport avec la manière dont ils gèrent leur domaine… ni d’ailleurs avec quelque différend ou drame familial. Les enfants

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