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Le spectre de la nouvelle lune

Le spectre de la nouvelle lune

Titel: Le spectre de la nouvelle lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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tous ! Des prisonniers avars !
    — Depuis combien de temps ces travaux sont-ils en cours ?
    — Deux années environ.
    Doremus fixa longuement son vis-à-vis, avant de lâcher :
    — Combien de ces esclaves sont-ils morts à la tâche ? Attention : tu ferais bien de me dire la vérité. Voici pourquoi : si j’apprends, d’une manière ou d’une autre, que tu as menti, tu comparaîtras devant les missi dominici pour entrave à la justice de l’empereur. Cela te vaudra de finir ta vie en cinq morceaux ( 11 ).
    L’homme pâlit.
    — Tu sais ce que c’est, dit-il en frémissant. Il y a toujours des imprudents… On a beau leur dire… Et puis, le marécage est si traître… Évidemment, on les surveille… on les met en garde… cependant…
    — J’ai demandé : combien ? Avec ta réponse, tu joues ta vie, ne l’oublie pas !
    — Tu m’as demandé… Eh bien, six, hélas !…
    — En combien de temps ?
    — Deux années donc.
    — Godfrid et son fils Gilbert étaient-ils au courant ? Allons ! Oui ou non ? insista Doremus.
    — Ils ne pouvaient l’ignorer. Nous leur devons des comptes, y compris pour le nombre des esclaves capables de travailler.
    — Qui reçoit ce qui leur est destiné, en particulier la nourriture ?
    L’intendant hésita puis finit par répondre :
    — Sur décision des maîtres, moi, naturellement, puis les chefs de corvée et les surveillants.
    — Et où ces esclaves se reposent-ils, où dorment-ils ?
    L’homme bredouilla une vague réponse.
    — J’ai compris ! jeta l’ancien rebelle… Un mot encore. Bénédicte, cette lavandière qui a disparu si mystérieusement, était-elle esclave, elle aussi ?
    — Oui, esclave domestique.
    — Est-ce à dire qu’elle n’a jamais travaillé dans ce cloaque ?
    — Jamais, en vérité !
    — Mais alors où, comment, pourquoi est-elle morte ?
    — Je ne sais pas, non, je ne le sais pas ! cria l’intendant que cette question avait plongé dans une étonnante frayeur.
    Doremus le dévisagea de nouveau.
    — Tu le sais parfaitement, mais je suis suffisamment édifié par ton effroi… Ah ! oui… encore un mot : je suppose que Godfrid et Gilbert, qui devaient tenir beaucoup à ce projet d’étang poissonneux, venaient souvent vérifier l’avancement des travaux, non ?
    — En effet, souvent.
    — C’est tout. Nous nous revenons.
     
    Le lendemain du jour où la mission conduite par l’abbé Erwin était arrivée à l’abbaye Saint-Pierre de Longoret, le missus, assisté par le frère Antoine, avait consacré son temps à inspecter le scriptorium du monastère et sa bibliothèque, si tant est qu’on pût l’appeler ainsi. Elle contenait peu de manuscrits, en mauvais état d’ailleurs, souvent recueils de légendes pieuses, de faits fabuleux et de miracles attribués à des saints, fameux ou obscurs ; mais il ne s’y trouvait à peu près aucun texte de grands auteurs latins à l’exception d’un exemplaire bien conservé de la Guerre des Gaules . Quant aux écrits sacrés, au missel, au psautier, ils étaient dans un désordre tel, lacuneux et fantaisiste, qu’aucune rénovation ne paraissait possible. Tout était à faire. L’abbé saxon s’étonna que, si près de Tours, foyer rayonnant de la renaissance voulue par Charles le Sage, les lettres et la foi fussent si piteusement honorées et servies.
    Quant au scriptorium, à l’exception de deux copistes, les autres scribes transcrivaient ce qu’ils avaient sous les yeux sans en comprendre grand-chose, ce qui les conduisait à commettre les erreurs les plus scandaleuses ou cocasses, à accumuler les omissions, les interpolations, à truffer leurs écrits de barbarismes.
    Le jour de l’équinoxe, au moment où il s’apprêtait à se rendre au cœur du marécage, en compagnie du viguier Guntran, afin de vérifier si les rumeurs concernant les apparitions à la nouvelle lune d’un spectre blanc avaient quelque fondement, Erwin, d’autre part, engagea le frère Antoine à se rendre à Méobecq et dans la forêt de Lancosme pour enquêter sur le meurtre de « la sorcière Fabienne ». Le moine arriva à l’abbaye en fin de matinée. L’abbé Valentin qui en était le supérieur fit préparer une collation, et l’assistant du missus entreprit immédiatement de l’interroger sur Fabienne, son allure, ses activités… Mais l’abbé voulait profiter de l’occasion qui lui était offerte de s’entretenir avec un personnage important ; il commença par exhaler une lamentation sur

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