Le talisman Cathare
de galets, la petite dizaine de dévots se rafraîchissait avant de franchir à gué les eaux de la Dordogne, quand l’un d’eux poussa un cri. « Le seigneur de Cazenac ! Nous sommes maudits ! »
Juché sur un tertre surplombant le fleuve, Bernard observait le groupe qui s’égayait comme des lapins affolés tandis que les soldats s’efforçaient de les contenir. La peur les conduisait à leur perte. Il lança son cheval au galop, suivi par ses hommes, renversa les deux sergents, et rassembla les pèlerins dispersés comme un troupeau de vaches, non sans en avoir occis la moitié. Durant ce bref assaut, Augustin était resté immobile, regardant défiler humains et chevaux à sa droite et à sa gauche, sans esquisser le moindre geste. Il était prisonnier du seigneur de Castelnaud.
« Qu’allons nous faire de ces gredins ? demanda un soldat cathare.
— Les pendre, comme il se doit, répondit Bernard dans un grand rire. Mais je suis d’humeur généreuse. Ils pourront recouvrer la liberté s’ils répondent à mes questions. »
Il mit pied à terre, confia sa monture à un valet d’armes et s’avança fièrement, les poings sur les hanches.
« Où vas-tu, si richement vêtu ? demanda-t-il à un pèlerin bien habillé, un bourgeois qui cheminait vers le lieu saint pour se faire pardonner un péché d’usure.
— Je me rends à Rocamadour, sur les conseils de notre très sage évêque, répondit l’homme en tremblant comme une feuille.
— As-tu besoin de tant d’or sur le dos pour parler à Notre-Seigneur ?
— Dieu bénit les riches ; notre sainte Église doit avoir puissance et fortune pour assurer l’ordre du monde.
— Mauvaise réponse, pendez-le, décida Bernard tandis qu’on entraînait l’homme qui criait comme un porc qu’on égorge.
— Qu’en penses-tu, toi le moine, demanda-t-il à Augustin dont il avait remarqué le calme.
— Jésus ne possédait rien ; le clergé devrait être pauvre. Il faudrait que Sa Sainteté le pape ne possède aucune terre, que les évêques cessent de se comporter en féodaux, pour que l’Église puisse abriter la demeure du Seigneur.
— Serais-tu vaudois ?
— Point du tout.
— Et toi, rugit Bernard à l’adresse d’un des survivants qui en tomba sur le cul de terreur, saurais-tu me citer les douze apôtres du Christ ? »
L’homme se signa d’une main tremblante. « Je n’ai point de connaissance. Le savoir est souvent diabolique. Seuls les clercs doivent discourir des Saintes Écritures.
— Dieu déteste les ignorants, et moi aussi. Qu’on le pende !
— Pierre-Simon, Jacques fils de Zébédée et Jean son frère… »
Sans aucune émotion, la voix d’Augustin continua sa récitation.
« …André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques fils d’Alphée, Thaddée, Simon le zélote et Judas Iscariote, celui-la même qui le livra.
— Pas mal, mais il est normal qu’un moine sache cela, bien que la plupart soient d’une ignorance crasse et d’une paresse égale. Et ne crois pas sauver ta vie en cherchant à m’impressionner.
— Nullement, seigneur. Je suis simplement étonné par l’ampleur de ta culture biblique, quand la plupart des nobles français ne savent ni leur A ni leur B. »
Un éclair de fierté vint illuminer le visage de Bernard.
« Je te trouve aussi bien cruel de pendre un homme pour ce qu’il ne sait pas, reprit le moine. Ne sais-tu pas que le salut vient du coeur et non de la tête ? »
Agacé, Bernard se détourna vers le dernier survivant, déjà blanc comme un cadavre.
« Et toi, que sais-tu du voyage des âmes entre ciel et terre ?
— Rien, rien, je ne sais rien », murmura l’homme en parvenant à peine à desserrer les dents.
Bernard lui passa son épée au travers du corps en jetant à Augustin un regard de défi.
« As-tu encore quelque chose à dire pour ta sauvegarde, moine ?
— Mon maître, il Poverello, dit que la source de la lumière est cachée, mais que ses rayons touchent l’homme de bonne volonté. Parce que la lumière éclaire ce qui est en bas, l’homme peut connaître qu’elle vient d’en haut. Et la lumière naissante remonte du fond de l’abîme.
— Quel drôle de catholique tu fais ! Manges-tu de la chair animale ?
— Oui, mais je ne saurais occire une bête. Je me repends de manger de la chair, car les animaux sont nosfrères, et la souffrance que nous leur infligeons est péché. Tout l’univers participe de notre
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