Le talisman Cathare
engourdit leurs cerveaux, gagna leurs membres soudain las. Tout le sud du royaume se trouva paralysé, comme sans défense.
Entièrement isolé, Raymond VI avait dû accepter l’affrontement. Il n’avait que trop tardé à faire appel à son cousin, Pierre d’Aragon, souverain de la très catholique Espagne. Et c’est une armée occitano-espagnole trois fois plus nombreuse que les croisés de Montfort qui convergea vers Muret, à trois lieues au sud de Toulouse ; la victoire des phalanges aux bannières sang et or était certaine. Encore fallait-il compter avec Montfort ! Rusé comme le Goupil, il confia au fidèle Alain de Roucy la tête d’un commando qui, en plein coeur de la bataille, isola et assassina le roi espagnol, dont l’armée aussitôt se débanda, laissant quinze mille morts sur le terrain, les blessés pourrissant en travers du chemin. Les villes occitanes se rendirent en masse ; sans plus barguigner, les châteaux abaissèrent leur pont-levis. Dépossédé de ses droits et titres, Raymond VI se vit remplacer par un nouveau comte de Toulouse… qui se nommait Simon de Montfort.
Bernard et Alix ne trouvaient plus le repos. Même leurs étreintes amoureuses prenaient une tonalité lugubre. Fallait-il déposer les armes et se soumettre au vainqueur, comme tant d’autres avant eux ? Le prix du renoncement était trop élevé.
« Jamais je n’abjurerai ma foi, affirma le chevalier cathare. Mais toi, tu peux te sauver : ta famille est catholique.
— Je ne me soumettrai point à mon frère ! J’en mourrais de honte. Jamais, non plus, je ne t’abandonnerai. »
Ils se parlaient dans le noir de la nuit, comme des enfants qui veulent se rassurer. Mais les fantômes qu’ils voulaient chasser étaient trop nombreux, et leur souvenir trop pesant.
« Nous sommes allés trop loin pour faire marche arrière. Nous devons continuer la lutte, même si nous sommes les derniers. »
Ils se plongèrent, avec un mélange de délice et d’horreur, dans l’abjection de la violence. Leurs amours prenaient des airs de lutte. Dans la jouissance bestiale de leurs corps, ils ne voyaient plus la beauté et la lumière du ciel, mais le sang et les flammes de l’enfer du monde. Fallait-il donc se plonger dans le péché, explorer jusqu’aux confins du Mal, pour retrouver la trace infime d’un espoir de salut, porter la souffrance à son comble, avant de pouvoir remonter vers le plérôme divin ? Comme des animaux affamés et furieux, ils se précipitèrent avec avidité dans le carnage.
Les époux Cazenac continuèrent de ravager les campagnes sarladaises largement gagnées à l’hérésie, détruisant les biens de l’abbaye et foulant aux pieds les massacrés comme vendange rouge. Ceux qui refusaient de les rejoindre étaient tués, mutilés, ou chassés, et voyaient leurs avoirs confisqués.
Enfermé derrière les puissantes murailles d’une cité qui lui restait fidèle, Hélie Vignon, l’abbé de Sarlat, ne put faire autrement que d’appeler à son secours celui qui lui paraissait le plus apte à le libérer de cette oppression. Désormais établi dans ses fonctions de comte deToulouse, il restait à Simon de Montfort à pacifier les marches d’une région qui l’acceptait mal et regrettait son seigneur légitime. Il avait pour devoir de prêcher la foi juste à ses yeux, en pays hérétique. L’heure n’était pas au repos. Ceignant son épée, il enfourcha son cheval et remit en marche sa grande armée en direction du Périgord.
9
Périgord, 1214.
Le moine Augustin avait décidé de rencontrer le terrible Bernard de Cazenac. Comprendre cette hérésie qui prêchait la non-violence tout en pratiquant les mutilations les plus atroces lui devenait indispensable. Cette contradiction inhérente au christianisme était ici poussée à son paroxysme. Mais, si les moines de l’abbaye lui avaient fait bon accueil, les portes se fermaient sur son passage dans la campagne sarladaise où les égarés persistaient à suivre leur chemin erroné. Il s’était joint à un groupe de pèlerins en partance pour Compostelle, via Rocamadour. Le chemin passait par Montfort, un des fiefs du seigneur cathare.
« Le diable n’est pas là ; il guerroie plus au nord. Nous avons de la chance », lui avait dit un des deux sergents d’armes qui escortaient la petite troupe.
Augustin comptait profiter de la halte du soir pour quitter ses compagnons et pénétrer dans le château. Rassemblée sur une plage
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