Le talisman Cathare
être. Mon maître a écrit un hymne au “frère soleil” et à son frère le loup.
— Par Dieu, tu es cathare ! s’écria Bernard en lâchant un abominable juron.
— Point du tout, mais je suis venu pour te rencontrer et connaître ta religion.
— Tu m’amuses, moine. Mais tu as bien répondu. Je suis un homme de parole et tu as gagné ta liberté.
— Ma liberté est de te suivre.
— Alors, je vais t’emmener dans mon château. Tu distrairas mon épouse qui est plus férue que moi en théologie. Et notre évêque, Hugues de Vassal, achèvera de te convertir.
— Je suis venu pour toi, seigneur de Cazenac. Je fais serment de te ramener au sein de la vraie religion, romaine, catholique et apostolique. »
Augustin découvrit avec étonnement que celui qu’il prenait pour un barbare vivait dans un luxe relatif et un épanouissement culturel. L’été, les Cazenac résidaient dans le frais château de Montfort. Alix en appréciait les petits jardins qui lui rappelaient la demeure paternelle. Entourée de savants et de troubadours, elle se consacrait à l’éducation de sa fille, Blanche, une timide et blonde adolescente. « Comment avons-nous pu engendrer une aussi douce créature ? » disait-elle à son époux. Elle voulait l’éduquer fermement, la préparer à un monde où l’épée comptait plus que la poésie, mais la petite demeurait paisible, presque indolente.
Augustin se croyait revenu dans la brillante Italie, et comprenait mal comment l’on pouvait associer tant de raffinements à une telle cruauté. Alix l’intimidait ; elle lui rivait son clou chaque fois qu’il tentait de défendre la théologie catholique. Elle était péremptoire, et plus habile encore que son mari dans les choses de l’esprit.
« Il me semble qu’un peu de modestie siérait plus à une dame de votre qualité. Ne feriez-vous pas mieux de filer votre quenouille plutôt que de vous mêler de débats qui ne conviennent qu’aux hommes ? » finit-il par dire, exaspéré et à court d’arguments.
Elle se leva furieuse. « Deborah ne fut-elle pas juge en Israël ? Et les femmes autour du Christ, se contentaient-elles de laver sa chemise ? Et les prêtresses de la gnose chrétienne ne prêchaient-elles pas ? Et puis, ça suffit, tais-toi, moine Augustin, ou je te fais couper la langue. »
Bernard riait aux éclats devant la déconvenue du bonhomme. Il se sentait pris de sympathie pour lui et, au fil des semaines, lui accorda sa confiance. Ils jouaient à se convaincre, à se convertir l’un l’autre, sans animosité ni fanatisme, simplement pour le plaisir de l’esprit. Un dimanche matin, Bernard vint le trouver, vêtu comme un simple paysan.
« Quel est ce déguisement, messire ?
— Viens avec moi !
— Où allons-nous ?
— Là où un moine doit se trouver le dimanche : à la messe. »
Ils cheminèrent en silence pendant une demi-lieue, en suivant le cours sinueux de la Dordogne. Avant de pénétrer dans la belle église de Carsac, le cathare glissaà l’oreille d’Augustin : « Observe bien les participants, même si cela doit te distraire de tes prières, retiens leurs visages. »
Après un sermon flamboyant, empli des flammes de l’enfer pour ceux qui goûtaient à l’hérésie, ils déjeunèrent dans les bois.
« Et maintenant, messire, où allons-nous ?
— Hugues de Vassal fait un prêche en pleine nature, au fond d’une clairière. Nous allons y assister. »
Augustin suivit Bernard qui s’agenouilla devant le Parfait. « Observe bien l’assistance », lui souffla-t-il encore une fois.
Stupéfait, Augustin reconnut ceux-là mêmes qu’il avait vus le matin à l’église : le boulanger et son épouse, le forgeron et ses deux fils, plusieurs laboureurs, des jeunes, des vieux. Il en oublia même d’écouter le discours du Bonhomme.
« Tu as compris, reprit Bernard, le soir venu, tandis qu’ils rebroussaient chemin vers Montfort. Les Toulousains ne sont pas séparés en deux camps, l’un catholique, l’autre cathare. La plupart pratiquent les deux religions, écoutent curés et Bons Chrétiens, et décident librement de leurs convictions. Ce sont les Français qui veulent semer la discorde entre nous. Moi, chevalier cathare, je dois maintenir l’ordre des choses, par la force s’il le faut.
— Ce serait trop facile si chacun pouvait prendre à loisir ce qui lui convient dans chaque religion. Je reconnais bien là la paresse provençale ! La voix royale
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