Le talisman Cathare
parle-moi, indique-moi la route à suivre », murmurait-il à l’adresse du bijou. Un éclat de soleil vint frapper la surface métallique, faisant briller un symbole gravé.
« Une croix ? Non, pas. Ce n’est pas la marque de notre religion. Une épée, oui. C’est une épée qui brille sous les doigts de l’astre du jour. Je vaincrai par le signe de l’épée.
— Crois-tu qu’il nous faudra l’ouvrir ? lui glissa Alix en se serrant contre lui, posant sa tête aux boucles brunes contre sa puissante épaule.
— Nous ne sommes pas vaincus ! Nous allons chasser les Français, soumettre les catholiques et faire régner la vraie religion du Christ.
— Messire Hugues prétend que nous allons nous comporter comme nos ennemis, les adeptes du mauvais démiurge.
— Nous ne sommes pas des Parfaits. L’ordre féodal est immuable : ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent. Nous autres, gens de noble condition, sommes soumis aux aléas des choses terrestres… et la force en fait partie. Nous devons tenir notre rôle. »
Ils regagnèrent Castelnaud, sinon apaisés, tout au moins convaincus de l’action à mener. C’était la guerre.
8
Bernard était persuadé qu’en alternant violence et persuasion, répression et générosité, il pourrait aisément gagner à sa cause les catholiques sarladais. Il n’en fut rien. Les paysans semblaient bornés dans leurs croyances, attachés plus que de raison au superstitieux culte des saints. Il dut employer la manière forte, celle que les combattants des deux camps utilisaient fréquemment. Il n’eut pas à se contraindre, mais seulement à suivre la pente de sa nature brutale.
« Cela a du bon de laisser parler la chair, et pas seulement dans le domaine de l’amour », dit-il à Alix en rentrant de quelque expédition punitive.
Mais les catholiques du diocèse faisaient montre d’un courage obtus, se laissant massacrer comme du bétail sans que les survivants songent à abandonner le prêche du curé. Ils se référaient de manière insensée aux reliques de leurs martyrs pour se comporter en victimes expiatoires.
« Ils meurent sans broncher, comme des cathares », songeait Bernard, soudain mal à son aise.
Hélie Vignon, son principal ennemi, s’opposait à lui, pouvoir contre pouvoir, et sa crosse n’était pas une arme moins redoutable que l’épée du chevalier. Le seigneur de Cazenac attaqua les biens de l’abbaye de Sarlat, ravagea les récoltes, coupa les vignes au ras du sol. Il envoya au prélat des messages personnels, tout sanguinolents, espérant ainsi faire tomber la ville. Il comptait quelques amis parmi les bourgeois, lassés du pouvoir absolu de l’abbé qui venait leur disputer jusqu’aux recettes de leurs commerces.
« Crevez-leur les yeux, qu’ils ne contemplent plus les horreurs de ce monde. Coupez-leur les mains, qu’ils ne puissent plus travailler la matière impie, ni prier le mauvais démiurge. Tranchez-leur les pieds, qu’ils renoncent à leurs pèlerinages sur les chemins du diable. »
Le cortège de pauvres hères mutilés prenait la direction de Sarlat où des gémissements les accueillaient. Les horreurs de la guerre, portées par les deux camps, s’abattaient sur le comté du Périgord sans que Montfort eût à intervenir.
Alix, de son côté, prêchait devant les communautés de femmes, éduquait leurs enfants, faisait maints cadeaux sur sa propre cassette à celles qui voulaient rejoindre les Bons Chrétiens. De caractère fier et emporté, elle admettait mal que l’on puisse résister à ses arguments. À Hugues de Vassal, qui lui reprochait ses conversions forcées, elle répliqua avec hauteur : « Ces femmes trouveront d’autant mieux la voie de la vérité si je les guidesur le bon chemin. Nous sommes la véritable Église des apôtres, alors que Rome est la grande prostituée, ivre du sang des martyrs. À quoi bon écouter leurs arguments puisque j’ai raison. Qu’elles se convertissent de gré ou de force, peu importe ! L’essentiel est qu’elles rejoignent la vraie religion et cessent de contrecarrer nos projets. »
L’affaire de Lavaur fut reçue par Alix comme un coup de poignard. Au printemps 1211, Montfort lança une vaste campagne sur l’est toulousain. Lavaur se dressait sur sa route. La place était fort belle ; au royaume de France, il n’était cité forte aussi superbe en plaine, aux remparts si puissants, aux fossés si profonds. Une femme y régnait, une
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