Le talisman Cathare
condamnait ces croyances et les voulait voir disparaître. Bernard assurait pleinement son rôle de seigneur cathare, convaincu de détenir la vérité.
Il était né trente ans plus tôt, dans le petit castel d’Aillac qui surplombait un bras de la poissonneuse Dordogne, au sein d’une famille qui portait le catharismedans ses veines depuis trois siècles. Son ancêtre, Aldebert, héritier d’une tradition rencontrée en Orient, avait le premier propagé cette religion nouvelle jusqu’à Orléans, en l’an de grâce 1014. Il avait alors déclenché la fureur du moine Héribert qui, dans une lettre pleine de colère, adressée aux chrétiens du monde entier, le traitait de manichéen ; pourtant sa doctrine ne devait rien aux sectateurs de Zoroastre, adeptes du dualisme. Il avait suffi, au cours d’un pèlerinage à Jérusalem, qu’Aldebert retrouve des textes oubliés du temps des premiers chrétiens qui se regroupaient à Alexandrie autour de Basilide et Valentin pour provoquer l’étincelle. Ce lettré avait ensuite rencontré de petites communautés syriennes qui pratiquaient encore l’ancienne religion, et la vérité avait éclaté à ses yeux comme un soleil après l’orage. L’Église mentait, elle avait usurpé le trône de saint Pierre en accommodant ses dogmes, pour des raisons politiques, lors de l’accession au pouvoir de l’empereur Constantin. Le christianisme véritable était différent. L’enfer, c’était la terre, la matière, créée par un ange déchu, un mauvais démiurge. Le Dieu de bonté ne pouvait s’être compromis dans une aussi sotte aventure que la création. Mais il existait une parcelle de Lui dans chaque être vivant. Les âmes des hommes pouvaient être sauvées et réintégrer le ciel, le royaume du pur esprit. Aussi, le Père avait-il envoyé sur terre son Fils, Jésus, une simple apparence d’homme sans corps véritable, afin de montrer aux humains le chemin du retour. Un pur esprit ne pouvait connaître ni naissance, ni souffrance, ni mort. La croix n’était que le symbole de la barbarie des hommes possédés par le diable.
« Adorerais-tu la corde qui a pendu ton père ? » répétait Aldebert de Cazenac aux catholiques offusqués.
Il fallait aux âmes plusieurs réincarnations, et de nombreuses chutes, avant d’être suffisamment purifiées pour réintégrer le plérôme 1 , le royaume divin. Il fallait aussi obéir à des règles strictes pour cela : ne pas tuer, ne pas pratiquer la violence, ne pas manger de viandes animales qui recelaient, elles aussi, des âmes en souffrance, ne pas mentir, ne pas voler, ne pas copuler afin de ne pas offrir au Malin de nouvelles victimes, ne pas prêter de serment afin de rester libre et engagé seulement au service de Dieu. Il fallait également travailler pour ne pas vivre de la charité et de l’impôt, étudier pour renforcer son esprit. En vertu de la loi de métempsychose, hommes et femmes avaient les mêmes droits, et tous accès à la prêtrise. Cette religion sévère et élitiste, où seuls de rares individus, les Parfaits, parvenaient à remplir toutes les conditions requises pour leur salut, séduisit un pays en proie à la décadence morale. Le catharisme se répandit avec rapidité grâce à l’exemplarité de son clergé, tout autant qu’à la rigueur de ses dogmes. Les flammes du bûcher dispersèrent la communauté d’Orléans, mais les descendants d’Aldebert de Cazenac surent faire fructifier leur héritage spirituel.
Encore enfant, Bernard avait connu son bisaïeul, Guiraud, qui avait tenu tête, au cours d’un débat homérique, à Bernard de Clairvaux venu raffermir pacifiquement la foi catholique dans le coeur des Sarladais gagnésà l’hérésie. Les discours talentueux du champion de l’Église de Rome avaient ramené la cité abbatiale dans le giron du pape. Une tour pointue avait même été érigée en son honneur, au-dessus du cimetière de l’abbaye, pour commémorer l’événement. Pourtant à peine le saint homme avait-il tourné les talons, la campagne sarladaise retournait au catharisme, Guiraud de Cazenac n’ayant eu aucune peine à démontrer la rapacité des abbés et leur moralité douteuse. Bernard se souvenait encore du rire de son ancêtre qui se réjouissait du bon tour joué à la plus grande figure intellectuelle de son temps.
De son père, Bernard avait reçu plus qu’une doctrine, plus qu’un héritage : un secret. À l’âge de seize ans, il l’avait
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