Le talisman Cathare
amené sur les hauteurs de Cazenac, au-dessus des eaux de la Dordogne, plus haut même que la fière baronnie de Beynac, là où, pourtant, nul château ne s’était jamais élevé.
« Nous sommes des Cazenac, ne l’oublie jamais, dit-il à son fils. Ici, ton ancêtre Aldebert a transmis à son héritier un grand mystère que, depuis, nous nous passons de génération en génération. Je te le livre à mon tour. »
Le vent soufflait fort, chassant les nuages aux formes fantasques, agitant les branches de ce temple de la nature. Le père sortit de dessous sa cotte un lourd médaillon d’argent en forme de boîte, recouvert d’inscriptions étranges.
« Je te remets ce talisman. Il contient le secret de notre religion. Il a été scellé par ceux qui ont fondé notre croyance, il y a des siècles, et nul ne doit jamais l’ouvrir. Tu dois porter cet objet en permanence sur toi, n’en parler à personne, et ne jamais chercher à savoir ce qu’ilcontient. Seulement le jour où la situation de notre foi serait désespérée, où nul espoir ne serait plus permis, si ce n’était la volonté de Dieu de se manifester à nouveau parmi les hommes, alors, tu pourrais briser les sceaux et révéler au monde le secret du talisman. Tu dois prêter serment sur le salut de ton âme. »
Le jeune homme comprit l’importance de l’enjeu, puisqu’il était d’ordinaire interdit de jurer. Gravement, il s’exécuta.
Bien qu’il n’ait jamais aspiré à la perfection cathare, se sentant trop attaché aux plaisirs terrestres, Bernard de Cazenac partageait pleinement les convictions familiales. Vassal du comte de Toulouse, il avait, par son intelligence affûtée et sa vigueur physique, compensé la petitesse de sa noblesse. La réincarnation pouvait faire oublier que l’on était fils de roi, ou fils de gueux, puisque l’on ne devait ses vertus présentes qu’à son existence précédente, et que la vie d’aujourd’hui déterminait les jours futurs. Ce petit hobereau sut s’affirmer comme le plus fiable soutien de Raymond VI en Périgord. Il réussit, surtout, à nouer de fructueuses alliances.
1 Dans le christianisme gnostique, royaume céleste du Dieu bon.
3
Turenne, 1201.
La beauté d’Alix de Turenne était légendaire. Elle n’avait pas quinze ans lorsque le xii e siècle tira sa révérence, et déjà une cohorte de troubadours se pressait à la cour de son père, le vicomte Pierre, grand seigneur du Haut Quercy, ami de Raymond VI de Toulouse. Ils chantèrent cette mince jeune femme dont la haute taille faisait paraître naines ses rivales. Ils célébrèrent ses cheveux couleur de nuit, qu’elle gardait dénoués, tombant jusqu’au creux de ses reins cambrés, comme une vague sombre où se perdaient les parfums et les rêves. Ils louèrent ses yeux noirs et profonds qui recelaient les flammes de la passion.
Le jardin clos du château de Turenne donnait à cette forteresse des allures de paradis, offrant aux humains un écrin de douceur et de bien-être. Dès les beaux jours venus, Alix y passait le plus clair de son temps, rivalisant avecles chanteurs dans l’art de rimer, entourée d’une escorte de soupirants. Car ils étaient nombreux, les seigneurs, jouvenceaux ou barbons, du Périgord, du Quercy et des contrées plus lointaines, à vouloir épouser tant de beauté alliée à tant d’intelligence et de fortune. Elle régnait sur cette cohorte, la dominait, malgré son jeune âge, par ses traits d’esprit et le désir qu’elle inspirait. Puis, les laissant pantois, elle s’enfuyait vers les appartements, dans la chambre des dames où elle restait avec ses compagnes. Là, nul homme ne pouvait entrer sans autorisation.
Le statut de la jouvencelle restait fragile, entre l’autorité que lui conférait son rang et sa nature brillante, et la rude condition des femmes, que les hommes pliaient à leur volonté, par force ou par ruse, quand ce n’était pas leur propre famille, père ou frère, qui les poussait dans quelque lit en échange d’une alliance ou d’un privilège.
Les manières de Guillaume de Gourdon n’avaient rien de courtoises. Petit, trapu, ce seigneur habile, protégé du roi d’Angleterre, n’avait d’autre charme que sa brutalité Il aimait contraindre les femmes comme on force un gibier, et nombre de ses vassaux avaient dû, pour lui plaire, lui céder leur épouse. Il avait tenté, en vain, de convaincre Pierre de Turenne de lui donner sa fille. Celle-ci ne pouvait
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