Le talisman Cathare
l’action claquaient au vent violent qui s’était levé depuis les Pyrénées. Le vent l’emportait ; il la sentait partir.
Quelques jours plus tard, le palais de leur hôte les vit se retrouver pour une ultime fois. La liesse générale leur était pesante.
« Ma mie, mon âme, Blanche, notre fille, est vengée. Son esprit est libéré, et, peut-être, Notre-Seigneur Jésus a-t-il eu pitié de son innocence, et l’a-t-il accueillie dans son plérôme ?
— Tu sais bien que cela est impossible. Seule une Parfaite peut échapper au cycle des réincarnations. Elle devra revenir dans cet enfer terrestre.
— Peut-être y trouvera-t-elle, à présent, quelque paix !
— Les Français reviendront ; ils sont plus nombreux que des puces sur un chien. Notre cause est perdue.
— Rien n’est fait, je n’ai pas encore eu à utiliser mon talisman. Nous pourrions attendre ensemble la nouvelle enveloppe corporelle de notre fille, et l’aider à se libérer.
— Ton idée est séduisante, mais erronée. Il n’est pas permis aux hommes de connaître leurs vies antérieures, ni le sort que leur réserve la métempsychose. La chair est péché. Satan n’a-t-il pas pris la forme d’une femme pour apparaître aux hommes, et celle d’un homme pour séduire les femmes et les entraîner tous dans l’enfer de la création ? J’ai tenu ma promesse, j’ai vengé ma fille. Maintenant, je dois expier mes fautes et devenir Parfaite, pour l’amour de Dieu. Ne me retiens pas !
— Et nous ? Qu’adviendra-t-il de nous, ma mie ?
— Hommes et femmes doivent se séparer sur le chemin de la perfection, tu le sais bien. Nous allons à présent suivre des destins différents. Que Dieu te garde !
— Ne regrettes-tu pas nos amours, la douceur de nos étreintes, la Joie qui donnait jouissance à nos corps physiques comme à nos âmes ? As-tu oublié ? »
Alix se blottit dans les bras de son époux, comme au temps de leurs jeunes amours. Comme son corps lui paraissait solide et protecteur ! Elle aimait l’odeur de sa peau et sa douceur si bien cachée sous la cuirasse du guerrier. Elle voulait s’en revêtir. L’aimer, l’aimer une dernière fois. Ils quittèrent leurs vêtements avec mélancolie, puis l’excitation gagna leurs chairs. Il la caressa longuement, explorant son intimité, puis la prit avec douceur, dans un ample mouvement de tout son être, plongeant son regard dans le noir infini de ses yeux. Elle gémit, cria de plaisir ; puis un long soupir les réunit.
« Ne crains-tu pas d’avoir enfreint la règle ? lui dit-il.
— Je ne suis pas encore entrée dans les ordres cathares.
— Fais-moi porter de tes nouvelles.
— Je m’y efforcerai, si Dieu le veut. Comment pourrais-je t’oublier ! »
Le lendemain, elle était partie.
Malgré la douleur que lui causait cette absence, Bernard n’avait rien tenté pour priver Alix de la destinée qu’elle avait librement choisie. L’appel de Dieu ne se discutait pas. C’était un rival impitoyable et jaloux qui ne rendait jamais celles qui s’étaient données à Lui. Il se plongea dans la guerre, avec ardeur, mais sans joie. Puis, lorsque la trêve lui permit de déposer les armes,il se consacra à la bonne gouvernance de la cité de Castelsarrasin, s’efforçant d’y faire régner un ordre juste. Hugues de Vassal, quand il ne parcourait pas les routes du Quercy et du Périgord pour y rétablir la foi cathare, et le moine Augustin, son ami, sa caution auprès des autorités papales, furent ses conseillers tout au long des années où il conserva son fief. Albigeois et catholiques n’eurent pas à se plaindre de ce seigneur avisé qui régnait par la sagesse. Il avait repris à son compte la prière du roi Salomon. « Accorde à ton serviteur un coeur intelligent pour juger ton peuple, pour discerner le Bien du Mal. » Son appel avait été entendu, transformant le soldat redoutable en un administrateur estimé. Bernard se surprit lui-même dans ce rôle, lui qui avait tant aimé la guerre. La solitude qui le rongeait lui avait appris la patience.
22
Alix souhaitait fortifier son engagement en vivant désormais auprès de « celle qui éclairait le monde », Esclarmonde, soeur du comte de Foix, considérée par toutes, sans qu’elle eût revendiqué cet honneur, comme l’archidiaconesse, le guide suprême des femmes cathares.
Il est vrai que l’ordination d’Esclarmonde, en 1204, au temps où le catharisme vivait encore
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