Le talisman Cathare
ses accusateurs par des raisonnements habiles qu’ils trouvaient spécieux, le moine Augustin fut condamné à être brûlé vif en place publique.
Bernard imagina vingt plans pour le libérer : prendre d’assaut sa prison, soudoyer les bourreaux. Mais après le traité de Meaux, Toulouse était devenue la ville la plus surveillée de France. Impossible de l’attaquer ou d’y introduire un groupe déterminé. C’était courir à une perte certaine et ses amis les plus fidèles ne l’auraient pas suivi. Il n’avait pas de troupes assez puissantes, son armée était maigre et de pâle vigueur. Tandis qu’il cherchait, en vain, une ruse plus efficace que la force, Bernard comprit que la condamnation d’Augustin n’était qu’un piège pour s’emparer de sa personne. Le moine n’était pas un grand danger pour l’Église ; lui était un chef de guerre redouté.
Le jour du supplice, Bernard et Hugues de Vassal, déguisés en marchands, purent s’approcher de l’enclos, parmi la foule ivre de ce spectacle malsain. Ils voulaient soutenir leur ami d’un regard, prier pour lui et pour son salut.
Stoïque, Augustin fut porté sur le bûcher et lié à un poteau. Il semblait encore prêt à débattre de son innocence. Lorsqu’il vit ses deux compagnons les yeux inondés de larmes, il esquissa un triste sourire, puis il s’abîma en prières tandis que les flammes léchaient son corps. Il mourut comme un saint martyr.
« Ils brûlent même les catholiques, et les meilleurs d’entre eux, dit Bernard. Leur monde ne va pas tarder à s’effondrer.
— Au contraire, ils renforcent le Mal et le règne du Démon. Je crois que nous sommes perdus. »
Hugues de Vassal passa la main sur son visage, en signe de lassitude, tandis que Bernard serrait machinalement le talisman qu’il portait toujours autour du cou. « Notre ami Augustin aurait été le meilleur des Parfaits cathares. »
25
Cordes, 1230.
Bernard sentait croître le danger partout autour de lui, jusque dans son palais. N’avait-on pas lancé des pierres dans ses fenêtres en criant : « À mort, le cathare ! Au bûcher ! »
La foule versatile, avide de paix et d’oubli, voulait brûler celui qu’elle avait adoré. En refusant la réconciliation avec l’Église, il avait jeté l’opprobre sur toute la population de Castelsarrasin. Craintif, son peuple voulait le chasser.
« Il faut partir, tant qu’il est encore temps, lui dit Hugues de Vassal.
— Partir où ? Je n’aspire qu’à rejoindre Alix à Montségur. Elle demeure ma seule patrie. Mais la route du sud est surveillée. Ma tête est mise à prix ; nous ne ferons pas dix lieues.
— Il faut fuir vers l’est, là où l’on ne nous attend pas. Gagnons Albi la rouge. Bien qu’on nomme “Albigeois” les cathares, cette ville est toujours restée fidèle à son évêque catholique, et la guerre y a peu marqué les esprits. Nous y serons à l’abri, et j’ai quelques adresses sûres dans la région. Nous pourrons ainsi contourner Toulouse et gagner Montségur.
— Tout d’abord, il nous faut sortir d’ici, et discrètement. »
Vêtus comme deux riches marchands enveloppés d’un manteau précieux, une aumônière brodée à la ceinture, ils se présentèrent à l’heure de none à la porte d’Orient. Leur chapeau rabattu dissimulait en partie leurs visages. Ils firent piétiner leurs chevaux devant le poste de garde, en hommes pressés, peu habitués à être ralentis par des futilités. Hugues de Vassal se sentait peu à l’aise dans cet habit bourgeois, sa robe austère lui étant devenue comme une seconde peau. Bernard parlementa d’interminables minutes. À peine le barrage franchi, ils piquèrent des deux en direction de l’est.
En deux jours, après avoir fait un large détour pour éviter Montauban, ils gagnèrent la bastide de Cordes. À la monotonie des plaines toulousaines succéda un paysage plus abrupt et vallonné.
« Cordes est une place bien fortifiée que le comte Raymond VII a fait bâtir pour protéger les cathares. Nous y trouverons des amis.
— Que vaut à présent la protection du comte ? » s’interrogea amèrement Bernard.
La ville était bien située, au sommet du puech de Mordagne, entourée d’une double enceinte percée dequatre portes. Ils trouvèrent le bourg en pleine effervescence. Partout s’ouvraient des boutiques de tisserands qui offraient au public les produits issus des ateliers clandestins des hérétiques.
«
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