Le talisman Cathare
avaient pris quelque avance sur les sergents du roi en franchissant une rivière. Bernard, bon nageur, avait soutenu son compagnon. De l’autre côté de l’eau, sur une hauteur, se dressait la silhouette massive d’une forteresse. Mais leurs ennemis avaient rapidement trouvé un gué etse rapprochaient dangereusement. Ils cessèrent de parler, concentrés sur leur course, et l’on n’entendait que le halètement caverneux du Parfait à bout de forces.
Bernard et Hugues gravirent la pente rude en s’aidant de leurs mains, s’accrochant désespérément aux buissons épineux. La pierraille roulait sous leurs pas, la terre s’effondrait sous leur poids ; ils perdaient à chaque foulée le peu de terrain gagné. Au-dessus d’eux, les murailles se rapprochaient, ultime et peut-être illusoire espoir de salut. Des cris jaillissaient derrière eux, une véritable meute à l’hallali.
« Je n’y arriverai pas !
— Courage ! Plus que quelques foulées. »
Des bornes portant des croix gravées marquaient l’entrée de la châtellenie. « Nous sommes sauvés », s’écria Bernard. Au moment même où il prononçait ces paroles, il entendit le sifflement d’une flèche. Hugues s’écroula, le flanc percé. Le sire de Cazenac revint sur ses pas, saisi par le navrant spectacle de son ami qui geignait faiblement. « Laisse-moi ! Sauve-toi ! »
Pour toute réponse, il tira son épée et fit face à ses ennemis qui approchaient, la lame nue ou le trait prêt à jaillir de l’arc. Le bout du chemin était donc là, en terre albigeoise, au pied d’un château inconnu. Il caressa de la main son talisman, songeant qu’il n’en connaîtrait jamais le sens, craignant un instant que les inquisiteurs n’en fassent un mauvais usage.
Soudain, le cercle de ses adversaires, qui se resserrait à chaque seconde, se fractionna ; certains reculèrent, d’autres s’enfuirent. Il entendit dans son dos un fracas de sabots. Une dizaine de cavaliers barbus, la lance au poing,chargeaient. Ces mystérieux chevaliers semblaient surgir du néant ; leur troupe compacte donnait l’impression de ne former qu’un seul corps, massif et mobile à la fois : un dragon de légende. Ils dégageaient une impression de force et d’invulnérabilité. Dans un mouvement parfaitement exécuté, ils stoppèrent leurs chevaux vigoureux entre Bernard et ses poursuivants. Celui qui paraissait être le chef s’adressa aux soldats d’une voix forte.
« Que faites-vous ici ? Qui vous a autorisés à pénétrer sur le territoire de la commanderie ?
— Nous agissons pour le compte du roi et de la très sainte Inquisition. Nous poursuivons ces cathares depuis hier. Remettez-les-nous !
— Vous n’avez pas pouvoir de police dans notre juridiction. Veuillez quitter ces lieux !
— Messire chevalier, nous servons tous deux la sainte Église, et combattons les hérétiques.
— Votre loi n’a pas cours dans cet enclos. Veuillez partir où je vous fais disperser par mes hommes !
— J’en rendrai compte à Monseigneur l’évêque.
— Nous ne dépendons que du pape. »
Bernard avait reconnu le manteau blanc frappé de la croix pattée rouge des chevaliers du Temple. Il n’en fut pas moins stupéfait par ce dialogue inattendu.
Les templiers conduisirent les deux hommes à l’intérieur de la forteresse. Tandis que l’on portait Hugues à la maladrerie, pour lui donner d’urgence les premiers soins, Bernard fut reçu par le commandeur du lieu.
L’homme, aussi grand et robuste que lui, également âgé d’une quarantaine d’années, portait une longue barbegrisonnante qui tombait sur son habit blanc. Son regard perçant dévisageait son hôte comme si ses traits lui étaient familiers. Le chevalier cathare hésitait. Les templiers étaient aux ordres du pape, le pire ennemi de sa religion ; mais ceux-là lui avaient sauvé la vie. Il choisit de ne rien dissimuler.
« Je vous demande asile, messire commandeur. Je suis Bernard de Cazenac, ci-devant seigneur de Castelsarrasin…
— Et châtelain faidit de Castelnaud, Domme et Montfort, je sais. »
L’étonnement se peignit sur le visage du cathare, que venait de caresser un peu du vent de son lointain pays, où il avait été heureux.
« Vous me connaissez ?
— Je me nomme Armand de Périgord. Je vous ai vu combattre en tournoi, à Turenne, il y a… bien longtemps. Nous vivions en paix, alors.
— Mais vous êtes …. ?
— Le fils du comte de
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