Le talisman Cathare
Périgord, Hélie V Talleyrand, mort au combat en Terre sainte.
— Son successeur, votre frère, ne m’a guère été favorable.
— Il faut dire que vous l’avez souvent tenu en échec sur les bords de la Dordogne. »
Le ton était cordial, nullement menaçant, avec une pointe d’ironie.
« Rassurez-vous, je n’ai pas d’excellents rapports avec mon frère Archambaud. Ma famille n’a pas accepté que je prenne le rude habit de templier, alors que j’aurais pu être plus utile à ses intérêts sous la mitre d’un évêqueou d’un abbé. Je vous offre l’hospitalité dans la commanderie de Vaour. Entre Périgourdins, nous nous devons bien cela. Je suis un homme de paix, malgré l’épée que je porte. Je regrette le temps des débats contradictoires et pacifiques où notre maître Bernard de Clairvaux disputait en public avec votre grand-père. »
Les deux hommes devisèrent longuement ; Bernard s’émerveillait devant la science du templier. « Les voyages sont instructifs ; ils nous rendent meilleurs », lui dit Armand.
Il venait de quitter son poste d’inspecteur de l’Ordre en Hongrie et remplaçait le commandeur de Vaour, malade, en attendant de prendre les hautes fonctions de maître en Sicile, Calabre et Pouilles.
« Je suis diplomate tout autant que soldat. On attend de moi que je réconcilie l’empereur d’Allemagne, Frédéric Barberousse, prétendant à la couronne de Jérusalem, avec Sa Sainteté le pape. L’Italie est ravagée par une guerre furieuse que se livrent les Guelfes, partisans du souverain pontife, et les Gibelins qui soutiennent le pouvoir laïc. Nous, templiers, qui sommes à la fois clergé, noblesse et tiers état, nous devons jouer le rôle d’unificateur de la chrétienté. »
Bernard découvrit, avec le plus vif intérêt, que le monde ne se limitait pas aux frontières occitanes. L’Orient, l’Italie, il les avait entendu chanter par les troubadours. Le commandeur templier leur donnait corps et existence réelle.
« Vous dépendez du pape, alors vous êtes les ennemis des cathares ?
— Je n’ai aucune sympathie pour votre hérésie, mais nous avons prêté serment de ne pas lever l’épée contre des chrétiens, et vous adorez, comme nous, le Christ. Nous ne nous sommes jamais associés aux croisades contre les Albigeois.
— Vous étiez pourtant à Marmande, il y a dix ans !
— Nous n’avons pas participé à l’immonde massacre de ses habitants. Nous ne pouvons souffrir une telle infamie.
— Je comprends mieux votre accueil, et vous en remercie.
— En Terre sainte, nous avons appris à fréquenter et à respecter toutes sortes de religions : des chrétiens orthodoxes, melkites, arméniens, gnostiques, mais également les juifs, qui sont nos ancêtres et non pas nos ennemis. Les musulmans eux-mêmes croient en un Dieu unique et nous les estimons tout en les combattant. Souvent, nous nous allions à Damas contre Le Caire, ou inversement. L’Orient est une expérience inoubliable. Son mélange extrême oblige à la tolérance et à la compréhension. L’Occident pourrait en tirer des leçons de charité. Quand les croyances sont nombreuses, le respect s’avère indispensable pour vivre au quotidien.
— On n’y trouve pourtant pas de cathares !
— Détrompez-vous. Il existe encore des groupes de chrétiens gnostiques dont la pratique ressemble à la vôtre comme une soeur jumelle. »
Le templier se leva et s’empara d’un parchemin qu’il conservait dans un petit coffre. Il le présenta à Bernard ; le cathare vit qu’il était signé du précepteur de France.
« Observez bien le sceau, en bas du document. »
L’impression sur la cire rouge révélait un étrange personnage : un torse humain ceint d’un tablier, tenant un fouet dans la main droite, une tête de coq et deux serpents à la place des jambes. Sept étoiles ornaient sa senestre.
« Voilà qui n’a rien de chrétien, murmura Bernard.
— Vous vous trompez, messire. Cette figure se nomme l’Abraxas Panthée 1 . Elle réunit des caractères grecs de l’époque païenne, et juifs, mais elle fut le symbole de l’école chrétienne de Basilide, aux premiers temps de l’Église.
— Vous voilà bien savant en théologie, messire commandeur.
— Je ne fais que répéter ce que m’ont appris les sages arabes et juifs que j’ai fréquentés à Jérusalem. La religion de Basilide serait aujourd’hui condamnée comme hérésie cathare.
— Que
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