Le talisman Cathare
malgré les interdits de l’Église qui réserve aux clercs cette pratique. Il ne serait pas étonnant que vous partagiez le secret des origines du monde. Nous autres, templiers, menons une démarche similaire et la diversité de l’Orient a fait singulièrement évoluer notre pensée.
— Ne seriez-vous plus catholique ?
— Si fait. Mais nous avons compris qu’il existait une religion naturelle, commune à toutes les religions, et qui réunissait tous les hommes du passé, du présent et de l’avenir.
— En quoi se résume t-elle ?
— Il faut croire en un Dieu unique, comme l’a dit Moïse, pratiquer une rituélie rigoureuse, comme l’a enseigné Mahomet, et surtout aimer son prochain comme soi-même, comme l’a prêché Notre-Seigneur Jésus. C’est uniquement dans ses actes que l’homme sera jugé devant Dieu. Chacun est libre de bien ou mal agir.
— Les cathares ne croient pas au libre arbitre. Mais alors, si vous êtes dans cet état d’esprit, pourquoi vous dire encore catholique ?
— Parce que cette religion naturelle doit prendre corps dans les religions existantes : catholique, cathare,juive ou musulmane. La vérité n’est détenue par personne ; elle se recherche toute la vie. C’est la liberté et la responsabilité de l’homme. »
Armand de Périgord fournit à Bernard de Cazenac un cheval blanc vigoureux, des vivres et quelques écus. « Que Dieu vous garde, seigneur cathare. Évitez les mauvaises rencontres. »
Bernard poussa sa monture au galop, en direction du sud.
28
Cabaret, 1231.
Bernard de Cazenac était découragé. Cela faisait des semaines qu’il tentait de franchir le rideau toulousain pour gagner les Pyrénées. En vain. Les sergents recherchaient partout ce trop vaillant capitaine qui aurait pu, à lui seul, mettre en danger la paix du roi. Sa tête était mise à prix et l’Inquisition transmettait la nouvelle dans chaque village, par le biais de prêtres aux prêches enflammés. On lui prêtait plus de pouvoirs qu’il n’en avait jamais eus ; on murmurait qu’il disposait d’un objet magique dont il fallait s’emparer coûte que coûte. Tous craignaient qu’il ne rallume le feu de la guerre ; beaucoup ne voulaient plus entendre parler du catharisme, qui avait apporté le malheur sur leurs terres. La souveraine régente avait décidé d’isoler Montségur. Un vaste cordon de sécurité barrait la route à ceux qui voulaient rejoindre la montagne sacrée. Cette poignée de rebelles,coupée du monde, finirait bien par s’épuiser et disparaître.
Bernard lui-même doutait de son destin, de sa foi, de sa force. Voilà des années qu’il combattait, et pourquoi ? Catharisme et catholicisme produisaient tous deux des êtres généreux, des monstres de cruauté, des braves et des lâches. Il se sentait vieilli sous le harnais sans que la sagesse que l’on attribue au grand âge ne soit venue compenser les désillusions de l’existence. Il n’avait plus de nouvelles d’Alix depuis des mois. L’attendait-elle toujours dans son réduit de Montségur ? Il regrettait les heures généreuses de leurs amours, sachant qu’il ne les retrouverait jamais. Une Parfaite cathare ne saurait être une amante sensuelle et amoureuse. Qu’irait-il faire à Montségur ? Pourrait-il jamais s’habituer à cette vie monacale ? Lui qui avait été un des plus puissants féodaux du Périgord et du Languedoc était devenu un chevalier errant et poussiéreux, traînant sa solitude de châteaux en villages, là où il savait pouvoir trouver des amis. Mais des amis, il en comptait de moins en moins. Parfois, les paysans lui jetaient des pierres, le chassaient comme s’il avait le mauvais oeil, effrayés par son allure sinistre. Avec l’obstination de la bête piégée, il venait butter sur le mur invisible qui lui barrait le chemin du sud.
Après avoir échoué une nouvelle fois à franchir la route qui reliait la cité rose à Narbonne, il cherchait un abri dans la courte forêt de la Montagne Noire, quand il aperçut au loin les tours du puissant château de Cabaret. Une vaste communauté de croyants y avait résidé, et laplace servait de refuge à l’évêque cathare de Carcassonne Pierre Paulhan. Cabaret était devenu le point de ralliement de tous ceux qui cherchaient à fuir en Italie. Il songeait, lui aussi, à s’exiler.
Il roulait ainsi de noires pensées quand il entendit au loin un bruit de course, des cavalcades, des cris, des appels de
Weitere Kostenlose Bücher