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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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lorsqu’il avait atteint sa maison, la mère Guénéqué inopinément apparue avait poussé les hauts cris. Ah, on le lui rendait dans un bel état ! Saleté de capitale. Elle avait insisté pour enduire de beurre ses ecchymoses – une vieille recette – et s’était soulagée de sa hargne en astiquant les chaudrons et les marmites comme s’il s’était agi d’ennemis personnels. Il avait patienté jusqu’à son départ avant de se laver à grande eau.
    Il décida d’employer le reste de la matinée à racler de ses moisissures l’auge de granit jouxtant le puits. Une assiette de bœuf bouilli, une tranche de pain et un verre de cidre alignés sur la margelle, il retroussa ses manches et cracha dans ses paumes. Ce fut à cet instant qu’il entendit le grondement d’une guimbarde. Il reconnut la jument grise du père Pignol. Se décidait-il enfin à réparer la toiture ? La voiture freina à quelques mètres du verger, une femme en descendit, le couvreur lui remit un gros sac en tapisserie et haussa son fouet en guise de bonjour à Corentin.
    La main en visière, il la regardait s’avancer, enveloppée d’un large manteau de velours sombre dont le capuchon enserrait ses cheveux. Elle s’arrêta à deux pas de lui, lâcha le sac et attendit.
    Il resta cloué sur place, pensant une seconde que ce n’était qu’un produit de son imagination. Puis il comprit que ce qu’il regardait fixement n’était pas un mirage. C’était elle, belle et provocante au-delà de toute attente.
    — Eh bien, allons-nous prendre racine ? Je suis transie jusqu’aux os. Et affamée, ajouta-t-elle en avisant le repas.
    Avec maladresse, il souleva le sac, essaya de saisir l’assiette.
    — Laissez-moi faire, vous allez renverser !
    Ils pénétrèrent dans la chaumière où le feu se mourait. Sophie Clairsange contempla la pièce.
    — C’est donc ici que vous logez ? Une vraie tanière ! Allumez donc une flambée !
    Comme un automate, il fourra dans l’âtre des fagots sur lesquels il souffla à l’aide d’un tuyau de sureau. Bientôt des flammes crépitèrent. Il alla fermer la porte contre laquelle il appuya la haguée 63 de genêts et de paille qui tout l’hiver avait bloqué la chatière. Enfin il pivota vers elle. Environnée de lumière devant la cheminée, elle dédaignait la nourriture et, très droite, s’était contentée d’ôter sa capuche.
    — Que désirez-vous ? demanda-t-il à voix basse.
    — Récupérer le jumeau de ce cabochon bleu. Au cas où vous l’auriez ramassé.
    Il marcha jusqu’au vaisselier sur lequel, parmi des pipes et des blagues à tabac, luisait une boîte à pilules d’argent terni. Il en sortit le bijou.
    — Je m’en doutais, murmura-t-elle. Pourquoi ?
    — Pourquoi l’ai-je gardé ?
    — Pourquoi m’avez-vous suivie à Paris ? Pourquoi vous êtes-vous efforcé de déjouer ces crimes ?
    — J’avais parcouru votre cahier bleu. Ce que vous avez enduré me touchait au plus vif, parce que jadis une femme qui a beaucoup compté pour moi est décédée des suites d’un avortement.
    Il passa les doigts dans ses cheveux, encore engourdi par l’émotion. La jeune femme à la peau dorée l’écoutait attentivement. Il fixa la fontaine de cuivre et continua d’une voix étouffée :
    — Je me suis installé à côté de la maison où vous vous étiez réfugiée. Je savais ce que vous aviez en tête, je tremblais que vous ne soyez en danger. J’avais raison. Malheureusement, quand votre amie, portant votre robe, les cheveux colorés ainsi que les vôtres, a été étranglée, je suis arrivé trop tard. J’ai vu une femme s’écrouler, un homme s’enfuir, et je suis resté paralysé. Vous aviez été assassinée presque sous mes yeux, une force obscure m’ôtait toute énergie, la vérité m’apparaissait clairement : vous étiez morte, c’était fini.
    Il releva les yeux, osa affronter son regard et reprit :
    — Mes sens refusaient d’admettre ce qui venait de se passer. Cette horreur que je n’avais pas été assez prompt à empêcher contenait tant d’éléments obscurs que j’étais égaré. Quand j’ai découvert les traits de la victime, j’avoue, à ma grande honte, avoir ressenti un intense soulagement, de la joie, de la colère aussi. Vous aviez mis en branle un plan puéril qui vous échappait. J’ai tenté de contrer l’assassin, j’ai failli à ma tâche, j’avais toujours une mesure de retard.
    — Est-ce un tel échec ?

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