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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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devant le buffet, je n’aurais pas pu élever un enfant, et puis une fille-mère, c’est mal vu !
    — Vous avez travaillé rue de la Paix ?
    — Loulou et moi, on a débuté trottins, chez Larive, une maison de couture à la Madeleine, on livrait les modèles. Toujours à cavaler à pied d’un bout de Paris à l’autre. Notre premier argent, on l’a dépensé à s’acheter un chapeau, une vraie folie, mais on n’avait jamais rien eu de joli à nous. En nous voyant, les hommes se retournaient, ils nous parlaient tout bas.
    — Et c’est là que…
    — On a eu la faiblesse de céder au mari d’une cliente, un chaud lapin à particule. Pas ensemble, hein ! C’est son épouse qui nous a refilé l’adresse de la Thomas.
    — Le patronyme de ce monsieur prolifique ? La frimousse de Mimi s’empourpra.
    — Ça m’embête de vous le dire, parce que la baronne a été gentille, c’est elle qui nous a fait embaucher cousettes par Le Couturier des élégantes.
    — Serait-ce par hasard Mme Clotilde de La Gournay ?
    — Vous êtes voyant extralucide ?
    — Pourquoi m’avoir dissimulé cet épisode ?
    — Parce qu’y a pas de quoi s’en vanter. Ah, j’en ai vu des pauvres femmes, des ouvrières, des couturières, des brodeuses, des femmes de ménage. Toutes, elles avaient la vie dure, je pourrais en raconter là-dessus ! Et puis des femmes d’un monde plus riche, certaines même n’avaient jamais travaillé, et pourtant, elles faisaient pitié. Tout ça parce qu’elles avaient voulu un petit moment de bonheur, et je mentionne pas les autres, celles qui subissent. On a trinqué, mais c’était injuste de nous inculper toutes seules, nos amants, nos conjoints étaient aussi coupables que nous, c’est eux qui nous ont rendu grosses, c’est encore eux qui nous ont conseillé de nous délivrer avant terme ! Seulement les hommes, ils ont la loi pour eux ! Oui, je suis allée chez la Thomas, je n’en suis pas morte. Rien qu’un petit peu.
    Mimi sentit des gouttes perler sur ses joues. Elle s’aperçut qu’elle pleurait. Furieuse, elle essuya ses I armes.
    Victor chercha les mots qui convenaient, il n’en trouva pas.
    — Combien de temps êtes-vous restée chez Gaétan ?
    — J’ai tenu un an et j’ai dégoté une place dans une maison où je brossais des chapeaux de soie avec des sels de plomb. Les ouvrières ne faisaient pas long feu, elles tombaient malades, leur compte était réglé. Le patron aurait évité bien des assassinats en remplaçant le sel de plomb par le sel de zinc, mais il aurait perdu une part de ses bénéfices. Quand j’ai compris ce qui m’attendait, j’ai claqué la porte et je suis allée me louer comme modèle, ça me rapportait autant que la couture. J’ai rencontré Maurice, il m’a demandé de poser pour lui, il était fauché mais j’ai accepté. De fil en aiguille, tiens, c’est marrant, ça, on s’est mis en ménage. Oh, c’était loin d’être la vie de château, mais le n’avais pas à me plaindre, il était gentil, Maurice. Il faisait tout ce qu’il pouvait, même s’il courait le guilledou. C’est un homme, et les hommes maintenant j’en ai soupé, j’exige de la respectabilité.
    — Avez-vous connu une jeune femme prénommée Sophie ?
    — Loulou avait une bonne copine, elles jouaient ensemble quand elles étaient gamines, je crois qu’elle s’appelait Sophie.
    — Sophie Dutilleul, Clairsange ou Guillet ?
    — Clairsange, oui, Sophie Clairsange, je me souviens, elle était mignonne, elle bossait aussi chez Gaétan, elle a failli y laisser sa peau.
    — Pourquoi ?
    — C’est la faute aux veillées. Ben oui. On est épuisées. Plus de dix heures d’affilée, penchées sur l’ouvrage, sans une minute de repos. On coud sans relâche, on respire difficilement, les yeux piquent du fait de l’éclairage au gaz, et l’hiver il y a le chauffage qui tire mal, on rêve d’air et de liberté. Vous n’imaginez pas la somme de souffrance que ça représente, les habits que les riches se mettent sur le dos ! Sept heures et demie du soir, enfin la quille ! On a déjà notre chapeau sur la tête, et voilà qu’on nous annonce : « Mesdames, il y a veillée. » On dispose d’un quart d’heure pour avaler un en-cas, on le prend à l’atelier sur un coin de table. On envoie l’une de nous acheter du pain et de la charcuterie, et ça, on le paye sur nos sous. On dîne sur le pouce et on trime jusqu’au-delà de minuit.

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