Le talisman de la Villette
lamentables qui lui valurent des caresses d’encouragement.
— Je suis avec toi, demi-pinceau, allez, pousse, la délivrance est proche.
Kochka haletait, les oreilles aplaties, les pupilles dilatées, ses flancs se creusaient violemment.
Victor réapparut, une serviette autour des reins. Il se détourna du lit transformé en décor de nativité et entreprit d’enfiler ses habits.
— Combien va-t-elle en avoir ?
— Cela dépend, deux, trois…
Une vision d’horreur s’imposa à son esprit : appuyée au traversin, Tasha, dépoitraillée, berçait dans son giron trois poupards hurleurs.
— Va à l’atelier, je te rejoindrai dès que ce sera terminé.
— Il y en a pour longtemps ?
— Je n’ai jamais fait office de sage-femme.
Il s’enfuit, soulagé de disposer d’un second logement. À quatre heures du matin, Kochka mit bas un chaton noir et blanc.
— J’avais raison, toi, tu as fauté avec le matou du cordonnier, murmura Tasha.
Très émue, elle assista vingt minutes plus tard à l’expulsion d’une deuxième boule mouillée au pelage rayé. Un quart d’heure après, Kochka se tendit en une ultime contraction et le dernier de ses rejetons, un noir, émergea lentement.
Tremblante d’émotion, Tasha alla s’humecter le front. À son retour, Kochka léchait ses petits qui avaient rampé vers ses tétines et se gorgeaient goulûment.
— On jurerait qu’ils actionnent la pédale d’une machine à coudre. Ils vont te labourer ! remarqua Tasha.
Comme si elle avait compris et s’insurgeait contre ce traitement, Kochka, quoique faiblarde, parvint à se lever et, saisissant le tigré entre ses dents, bondit à terre. Elle se planta devant l’armoire de Victor.
— Tu es sûre que c’est la villégiature de tes rêves ? Ton papa risque d’être plutôt mécontent, observa Tasha.
La chatte demeura imperturbable, pendant que les deux chatons s’égosillaient.
— Bon, je plaiderai ta cause.
Laissant Kochka poursuivre son déménagement, Tasha chercha de quoi éponger le lit. Elle repéra un quotidien échappé de la redingote de Victor. Arrachant une feuille, elle la chiffonna et suspendit son geste. Le mot « Assassiné » chevauchait un pli du papier, qu’elle défroissa.
LE COUTURIER GAÉTAN ASSASSINÉ
« La police a fouillé son domicile du 43 bis, rue de Courcelles dans l’espoir de…»
— 43 bis, rue de Courcelles. Quelqu’un a cité cette adresse. Qui donc ? André ? Euphrosine ? Iris ?
Tout à coup elle se souvint : Joseph, le matin, harponné ici même, prêt à s’entretenir avec Victor. Les soupçons refoulés l’après-midi se muèrent en certitude. Un meurtre. Peut-être deux, si l’on comptait cette Loulou évoquée par Mimi.
CHAPITRE XII
Jeudi 22 février
Joseph, mort de sommeil, rouspétait en galopant du Châtelet à la rue des Saints-Pères. Il ronchonnait encore plus en pénétrant dans l’appartement, déjà investi par sa mère qui lui prodigua un orémus inédit.
— Ah, Monsieur daigne rentrer ! C’est pas trop tôt, aboya-t-elle. Passé une nuit douillette ? A ta place j’aurais honte ! Tel beau-père, tel beau-fils !
Il se fit violence, se retint de claquer la porte pour ne pas alerter Iris et descendit en trombe à la librairie afin d’éviter Kenji. Il bâcla l’ouverture, omis de dépoussiérer et se précipita en son fief du sous-sol où il entreposait ses papiers personnels.
Il aligna ses carnets de bord numérotés à partir de 1889, date de sa première enquête, et consulta celui de 1891.
« Voilà, j’ai trouvé ! Je dois être anémié, comment ai-je pu oublier ? En novembre 91, Victor et moi, nous étions sur les dents ! »
Il sursauta. Quelqu’un l’épiait. Il se tourna brusquement et heurta son nez à une étagère supportant des encyclopédies.
— C’est vous, Victor ?
— Oui, qu’est-ce que vous fricotez ?
— C’est malin ! Fallait vous annoncer ! Je vais enfler, forcément, on va me prendre pour un poivrot !
— Mouchez-vous et racontez.
Joseph sentit le sang lui monter aux joues.
— J’ai découvert le pot-aux-roses, le procès date de 91, l’année de l’enquête du Carrefour des Écrasés.
— Quel procès ?
— Votre mémoire traîne la patte ? Le procès auquel le cinglé aux croûtes de pain a fait allusion. C’est un procès d’avortement qui a provoqué du chambard. De la Gazette des tribunaux au Père Peinard , tous les journaux y
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