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Le Temple Noir

Le Temple Noir

Titel: Le Temple Noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Giacometti
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fit craquer ses jointures. Il ouvrit un tiroir et sortit un couteau.
    — Arnault… Arnault… n’abuse pas de ma patience.
    — Un pèlerin… c’était un pèlerin.
    — Son nom ?
    — Il ne m’a pas dit… muet, il était muet.
    Un déclic retentit dans la mémoire du dominicain. Comme une porte qui bat au fond d’une maison.
    — Tu avais bu ?
    — Oui, pleura le geôlier.
    — Qui a payé ?
    — Lui.
    De nouveau, le bruit de porte retentit. Le dominicain éprouva le tranchant de la lame contre la chair râpeuse de son pouce. Depuis quand des pèlerins régalaient-ils des geôliers dans les tavernes ?
    — Son visage ? interrogea-t-il en posant une chandelle sur la table.
    — Je ne me souviens pas. Blessé… Il avait une blessure… on ne voyait rien.
    Cette fois la porte s’ouvrit. Le conseiller leva le bras et posa la pointe sur le ventre du geôlier. La chair dégoulinait en plis graisseux suspendus au-dessus du sexe.
    — Tu ne te souviens pas ? demanda le conseiller en avançant l’écuelle.
    — Pitié, au nom de Dieu, pitié !
    — Même pas d’un détail ?
    La lame entra dans un des plis comme dans du beurre fondu.
    — Il avait une… une…
    Des lèvres de la blessure coula un filet immonde. Jaune, visqueux.
    — Une oreille coupée… le lobe…
    — Laquelle ?
    — Je ne sais… sais plus.
    Le dominicain fixa le visage du geôlier. La vérité se lisait dans l’effroi de son regard. Plus que tout, il craignait une question à laquelle il ne pourrait pas répondre. Cette fois, il n’avait plus rien à dire.
    Dans l’écuelle, une flaque s’élargissait, alimentée par la graisse, mêlée de sang, qui s’échappait du ventre en filet continu. Le conseiller se retourna et posa une bougie allumée sur la table.
    — Sais-tu avec quoi les pauvres s’éclairent ?
    Un gémissement de douleur lui répondit.
    — Avec du suif. De la graisse animale. Très combustible.
    Il sortit de sous sa bure une fiole dont il versa le contenu dans la coupelle. Une odeur acide envahit la pièce.
    — Encore plus combustible si on rajoute de l’alcool. Je vais te montrer.
    Il abaissa la bougie au-dessus de l’écuelle. La vapeur d’alcool s’embrasa. D’un coup la graisse prit feu. Une flamme jaune s’élança comme un serpentin vers le ventre du geôlier.
    Quand la peau se mit à fondre et tomba en lambeaux brûlants sur la table, le dominicain fit un signe de croix en murmurant :
    — Bienvenue dans un monde meilleur.

    Cathédrale de Jérusalem
    Dans la nef, le calme était revenu. Le bruissement continu des pécheurs qui attendaient pour se confesser s’était tu. Seuls quelques artisans, la journée de travail fini, priaient Dieu avant de rentrer chez eux. Assise derrière la tenture, une femme, les doigts enroulés autour d’un mouchoir, tentait de sécher ses larmes. Les cheveux bruns remontés sur le front, un front blanc comme de l’albâtre, ses lourdes boucles d’oreilles et son parfum de violette trahissaient une courtisane. Les yeux rivés sur les dalles grises du sol, elle hochait la tête en pleurant à nouveau. À travers l’épaisseur de la tenture, la voix du Légat était assourdie, mais ferme.
    — Un matin viendra où dans le miroir des vanités, ta beauté sera fanée, ton corps flétri. Ce jour-là, les hommes se détourneront de toi.
    Un sanglot retentit. Le prélat, inflexible, continua :
    — Alors, tu ne seras plus qu’une femme seule et abandonnée de tous. Dans la rue, les enfants te moqueront, les femmes de bonne vie te mépriseront et tes anciens amants, lâches et cruels, feront retentir leurs injures à ton oreille.
    — Jésus-Christ, aie pitié de moi… aie pitié.
    Le Légat se sentit sourire. Sa proie, qu’il disputait au péché, était sur le point de céder. Tel un faucon, il tournait autour d’elle en cercles de plus en plus rapprochés. À chaque passage, il alternait menaces et compassion, provoquant la terreur, puis l’espoir.
    — Aie d’abord pitié de toi-même. N’expose plus ton corps aux caresses abjectes des hommes, ne souille plus ton âme dans le commerce immonde du plaisir.
    De l’autre côté de la tenture, les pleurs venaient de cesser. L’odeur rance des cierges que l’on éteignait montait sous les voûtes. Le prélat leva le regard. Un restant de jour caressait les vitraux tandis que l’église s’enfonçait dans l’obscurité. Il était fatigué, mais la proximité de la victoire lui

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