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Le Temple Noir

Le Temple Noir

Titel: Le Temple Noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Giacometti
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a aucun risque ?
    — Ça dépend.
    Tout en parlant, Évrard manipulait son visage devant un miroir de Venise. Un luxe incongru dans cette ruine, mais une nécessité pour l’espion qui, chaque jour, s’entraînait à répéter ses personnages. C’était là la botte secrète d’Évrard. En plus de se glisser dans la peau d’un bourgeois ou d’un prêtre selon les circonstances, il entretenait, depuis des années, des personnages fixes qui lui servaient de référence, de refuge, surtout quand un de ses avatars était recherché. Ainsi veillait-il à travailler des expressions, répéter des gestuelles afin de pouvoir à tout moment emprunter la peau d’un de ses doubles. Qui soupçonnerait le vieux pèlerin Martin ou Roquebert, le fringant troubadour d’être une seule et même personne : Évrard, l’espion du temple ?
    Peu à peu, le visage de Roncelin prenait une teinte crayeuse. Autour de ses yeux clos, les cernes se creusaient tandis que ses lèvres, devenues livides, semblaient disparaître.
    — Il est en train de passer, s’écria le Devin.
    À son tour, Évrard se pencha et souleva une des paupières. La pupille semblait comme éteinte.
    — Surveille ses yeux. Juste avant qu’il ne parle, ils se mettront à tourner en tous sens.
    — Comment ça ? s’étonna le Devin qui, le doigt sur une veine du poignet, tentait de surprendre un battement de plus en plus lointain.
    — La vie est comme un serpent. Ce breuvage le traque, l’oblige à se réfugier au plus profond du corps. Là il se love sur lui-même et aspire sa propre puissance.
    Le Devin grimaça. Il avait toujours détesté les reptiles.
    — Et quand il sera acculé… alors il se détendra comme la corde d’un arc.
    — Par le sang de Dieu, mais il y a quoi, dans cette mixture du diable ?
    —  Stramonium, akis et claviceps , laissa tomber Évrard, mais je ne connais pas le secret des proportions.
    — Comment ça ? s’exclama le Devin.
    — Trop d’une substance ou pas assez d’une autre et la morsure du serpent est…
    — Parle !
    — … elle est fatale.
    Brusquement le corps de Roncelin se mit à bouger. Il s’arqua, puis retomba. Une fois, deux fois. Inquiet, le Devin tenta de saisir le Provençal aux épaules.
    — Ne le touche pas.
    Le dos de Roncelin se cambra à nouveau. Un frisson parcourut son dos
    — Regarde… Le Serpent… Il remonte.
    Le visage du Provençal se mit à trembler.
    — Les yeux… Soulève ses paupières.
    Le Devin se précipita. La pupille était en train de se dilater. Une étoile sombre qui éclatait. D’un coup, l’œil chavira.
    — Ça y est, le Serpent vient de le piquer, s’écria Évrard.
    Les dents de Roncelin se mirent à crisser.
    — Il va parler…
    Le Devin pâlit.
    — … ou il va mourir.

    Cachot du palais
    Le dominicain ne pouvait s’empêcher de regarder les corps. C’était son péché. Dans la rue, sous le voile de sa capuche, il s’empressait de dévisager, de fixer les passants. Pourtant ce n’était ni la quête de la beauté, ni une simple curiosité compulsive qui le guidait, mais bien un désir tout autre. Il était fasciné par la dégradation des corps. Le visage d’un homme raviné par l’alcool, l’anatomie d’une femme avachie l’arrêtaient net, comme s’il voyait dans leur déchéance, la preuve du péché originel. Une fascination qui tournait vite à la répulsion, mais dont il avait du mal à se détacher. Il s’en rendait compte en contemplant le corps, rongé d’épouvante, d’Arnault. Depuis le matin, le geôlier était détenu dans la chapelle. Il était nu. Ses épaules tressaillaient tandis qu’il tentait de dissimuler son sexe entre ses cuisses. Il puait la peur et la mort.
    Le regard du dominicain le détaillait partie par partie comme un boucher en train d’examiner la viande qu’il allait découper. Tout dans cet homme suintait la lâcheté, la frustration et la haine. Tout son être, des muscles flasques aux tissus adipeux, dénonçait un destin fait de renoncement et de veulerie.
    Le dominicain se mit à rire.
    Tous ceux qui connaissaient le conseiller du Légat n’en parlaient jamais qu’avec dédain. Dans le clergé en ville, dans le scriptorium où s’activaient les secrétaires, même dans le bas peuple, le conseiller était d’abord une réputation. Sans doute son physique ne lui rendait pas justice. Ses yeux sombres invariablement cernés, sa peau bleuie sous les pommettes et ce maigre collier de

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