Le Temple Noir
sa gorge. Roncelin acquiesça à ce signe et donna les premiers ordres.
— Les archers sur la gauche.
La moitié de la compagnie se glissa en silence dans un tapis de broussaille, l’arc à la main, une flèche entre les dents, prête à tirer. D’un dernier coup de reins, Guillaume atterrit à ses pieds.
— La porte est ouverte.
Roncelin tourna la bague autour de son annulaire comme chaque fois qu’il devait prendre une décision.
— Décris-moi la scène.
Guillaume reprit sa respiration. Si son intelligence était bornée, sa mémoire se présentait sans faille. De la cire vierge où le souvenir gardait tout son relief.
— D’abord des soldats avec leur chef… derrière des hommes sans armes, sans doute des marchands et, devant la porte, des familles.
— Beaucoup ?
Le sourire fendu, Guillaume ricana.
— Trop pour rentrer ensemble en même temps.
Roncelin tapota l’épaule de son compagnon. Du beau travail, vraiment. Il se tourna en arrière et jeta ses ordres à l’escouade à cheval.
— Prenez à droite. Au bas de la côte, il y a une oliveraie juste au pied de la ville. Dès les premiers cris, vous forcez le passage.
Khoubir était un soldat, pas un orateur. Les yeux ébahis, il regardait l’imam, porté en triomphe sur les épaules de ses partisans, en train de haranguer la population. Tandis que les enfants crachaient sur le cadavre du porc en le couvrant de malédictions, les femmes se pressaient au pied du nouveau prophète. Les marchands mêmes sentaient le vent tourner et l’écoutaient avec un respect feint, la main droite sur la poitrine. L’un d’eux, Boufeda, se pencha vers Khoubir. C’était l’un des marchands les plus respectés de la ville, il avait commercé avec les navigateurs d’Italie, les hommes à la peau sombre du pays de Kash et même avec les Juifs qui vivaient, quasi reclus, dans leur quartier. Il parlait peu, mais juste.
— Si l’imam n’était d’abord homme de Dieu, je jurerais qu’il est pour quelque chose dans cette mascarade.
— Khatani est comme un chien affamé, il ferait n’importe quoi pour assouvir sa soif de pouvoir.
Un long cri de joie fusa de la foule. Khatani leva les bras, paumes ouvertes, pour apaiser l’enthousiasme de ses partisans.
— Dieu… Dieu seul a les clés du Paradis. Et il n’ouvre la porte qu’aux braves qui donnent leur vie pour Lui.
Un hurlement rauque lui répondit. À nouveau ses fidèles se frappaient la poitrine en chœur. Certains gesticulaient. Khoubir serra la garde de son épée. Que croyaient-ils, ces imbéciles ? Qu’ils allaient libérer Jérusalem, en chantant et en dansant ? D’un geste violent, il saisit un des gardes par l’épaule.
— Toi, retourne à ton poste. Les remparts sont déserts.
Le soldat le regarda d’un air absent. Il semblait hypnotisé par le discours de l’imam.
— Dieu est grand qui nous donnera la victoire, Dieu est grand qui fera périr nos ennemis, Dieu est grand qui nous donnera leurs femmes en pâture…
Le soldat se dégagea de l’emprise de Khoubir, leva les bras au ciel et reprit à l’unisson :
— Dieu est grand qui…
Un sifflement aigu l’interrompit. Jaillie de la nuit, une flèche venait de se planter dans sa gorge.
4
Oxford
De nos jours
Une lune pleine illuminait la forêt de toits et de façades gothiques de la vénérable cité universitaire. Elle caressait de ses rayons le dôme majestueux de la Radcliffe Camera, la babelienne bibliothèque, et faisait ressortir la pureté des clochers qui accrochaient le ciel d’encre. À sa manière, l’astre nocturne donnait corps à ces songes de pierre et rendait hommage au poète Matthew Arnold qui qualifiait Oxford de « cité des clochers rêveurs ». Au centre de la ville, les rayons lunaires faisaient miroiter les flots calmes de l’Isis qui deviendrait la Tamise en mêlant ses eaux avec l’Ams plus en aval. Les enfants de la forteresse du savoir et de la raison s’abreuvaient depuis l’an 1096, date de sa création, à une rivière portant le nom de la divinité mère égyptienne, singularité remarquable dans tout l’hémisphère Nord.
Old Mary, la grande horloge centrale, sonna 10 heures, les bâtiments réservés à l’enseignement étaient éteints et silencieux. L’heure de partage pour les dizaines de milliers d’étudiants de la plus ancienne université d’Angleterre. Les plus studieux révisaient dans leurs chambres exiguës, les moins appliqués
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