Le Temple Noir
dans la file, les images défilaient à toute allure. Les Romains emportés par le souffle puissant du christianisme. Et en 604, sur les ruines du temple de la déesse morte, les religieux battirent une première église de bois pour célébrer une nouvelle alliance.
Celle avec le fils de Dieu.
Mais, dans les entrailles de la terre de Lud, grondaient encore des forces obscures, le maître du Temple Noir les sentait encore et toujours. Les anciennes divinités, ivres de colère, se réveillaient au cours des siècles pour refuser cette greffe de pierre. L’église fut incendiée, rasée par les Vikings, et même foudroyée à deux reprises. Mais à chaque fois, elle avait ressurgi de terre, sous une apparence plus puissante et majestueuse que son incarnation précédente. Jusqu’à ce jour de 1666 où un immense incendie ravagea le cœur de la ville et la détruisit de fond en comble.
Le feu purificateur. La vraie lumière, celle qui vient des ténèbres.
Fainsworth s’imaginait au milieu de ce brasier ardent, consumant hommes et oripeaux de Dieu. Les colonnes de flammes montèrent dans le ciel, pendant six jours et six nuits, transformant la ville en temple de feu. C’était l’ultime manifestation de la colère des anciens dieux.
Et vint Christopher Wren. Le bâtisseur maçon, l’héritier des Chevaliers Templiers. Le maître Hiram du nouveau temple de Saint-Paul.
Le milliardaire sortit de sa rêverie. On lui tapa respectueusement sur l’épaule.
— Maître, c’est à notre tour.
Fainsworth abandonna ses songes de feu et de sang, et passa le contrôle du guichet d’entrée.
La travée centrale s’offrait à lui dans toute sa splendeur. Lui et ses hommes fendirent la foule pour se diriger vers l’entrée de la crypte. Il serra le manche du maillet de Wren, niché dans la poche de son imper. Cela avait été un jeu d’enfant d’arracher la plaque rectangulaire et de découvrir l’inscription gravée sur le bois du marteau. Une phrase toute simple, sans énigme, sans allégorie maçonnique ou templière.
Frappe la marque de mon tombeau .
Fainsworth descendit les marches lentement, comme pour savourer l’instant. La tombe de Maître Wren était ici, à Saint-Paul, dans la cathédrale qu’il avait bâti. À quelques dizaines de mètres sous terre.
Dans le royaume des morts.
66
Maison de l’Ordre
Décembre 1232
Dans la cellule, le froid était saisissant. Roncelin se recroquevilla contre le mur, tira sur lui la maigre couverture qu’on lui avait donnée. Les parois passées à la chaux étaient d’un blanc rendu fantomatique par la clarté de la lune. Une fois encore, Roncelin examina son royaume. Une pièce carrée, dallée au sol où reposait une mince paillasse. Depuis qu’il était ressorti du Schéol et qu’il avait erré jusqu’à la porte du Temple, les frères l’avaient reclus dans le ventre de la forteresse. Cette cellule ressemblait à celle d’un moine, mais le décor peint sur un des murs troublait Roncelin. On y voyait un coq, un serpent enroulé sur lui-même et un squelette grimaçant. Durant les premiers jours, quand le Provençal était rongé par la fièvre, il lui semblait voir le squelette traverser la pièce pour venir faucher le peu de vie qu’il lui restait. Ces cauchemars étaient affreux. Il revoyait la salle du tombeau, la dalle qui pivotait… malgré lui il se penchait sur le bord de la sépulture et aussitôt il tombait dans un gouffre de ténèbres et de mort. Il se réveillait sur sa paillasse, hurlant de terreur, le corps glacé de sueur, le cœur frappant sa poitrine comme le battant d’une cloche endiablée. Chaque matin, une main anonyme ouvrait un pan mobile au bas de la porte et lui faisait passer une ration de nourriture. Au début, il avait tenté d’interpeller son geôlier, mais n’avait obtenu aucune réponse. Parfois, il lui semblait avoir rêvé toute son aventure. Bina, le Devin, la nécropole secrète, le tombeau d’Hiram… Des images flottaient autour de lui comme s’il circulait dans un livre animé. À croire qu’il était devenu fou comme ces pèlerins que la puissance mystique de la Terre sainte rendait déments jusqu’à ne plus connaître ni leur nom, ni leur propre vie. D’ailleurs, il avait perdu jusqu’à la notion du temps. Il ne savait plus depuis combien de jours, les frères le maintenaient au secret. Il supposait seulement qu’on était encore en hiver tant il avait froid.
La
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