Le Temple Noir
le travail, elle envoie ses seconds couteaux ?
Chasteuil s’avança à son niveau. Son visage ne bronchait pas, un bloc de marbre dans un costume impeccable. Il porta la main à son oreille et hocha la tête, comme si quelqu’un lui parlait. Soudain, il rangea son arme dans la veste et lui tendit la main.
— Ne dites pas de bêtises, commissaire. Je suis ici pour vous aider. Venez, nous n’avons pas de temps à perdre. Une voiture nous attend.
Antoine se figea.
— Le même coup qu’à Saint-Pancras ?
— Ne discutez pas. Si j’avais voulu vous tuer, ce serait déjà fait depuis longtemps.
Gabrielle grelottait contre Antoine. Il sentit qu’elle allait s’affaisser.
— Vous ne travaillez pas pour Fainsworth ?
— Bien sûr que non. On discutera plus tard. Votre amie ne va pas bien.
D’un geste souple, Chasteuil prit Gabrielle par l’épaule et la souleva comme si elle n’était qu’un fétu de paille. Sans attendre de réponse, il fit demi-tour et marcha en direction de la porte de sortie. Complètement désorienté, Marcas le suivit de façon presque mécanique. À ce stade, il n’avait plus rien à perdre.
Ils remontèrent les marches, traversèrent le jardin luxuriant, puis avancèrent dans une sorte de vestibule qui jouxtait la grande pièce dans laquelle Marcas avait été attaché.
Un homme était affalé à terre, la tête contre un mur, un bâillon sur la bouche. Ils longèrent ensuite un corridor qui menait à un jardin. Chasteuil poussa une porte vitrée avec du verre cassé au sol.
Andrew marchait à vive allure, même avec Gabrielle dans ses bras. Antoine avait l’impression d’être comme dans un rêve, ses pieds avançaient machinalement.
Ils piétinèrent une pelouse verte et tendre et s’enfoncèrent dans un bosquet obscur et mal entretenu. Les branchages leur griffaient le visage. Marcas ne voyait que le dos massif de l’Anglais et les jambes de Gabrielle. Elle avait passé son bras autour de son épaule et Antoine éprouva un bref sentiment de jalousie. C’était lui qui l’avait sauvée, pas ce type.
De son côté, Andrew parlait tout seul.
— On arrive. J’ai un colis.
Ils débouchèrent sur une petite rue, dont l’accès était fermé par une grille rectangulaire noire. Le rouquin, complice de Chasteuil à Saint-Pancras, surgit de nulle part.
— Passe-la-moi, je vais la récupérer.
Andrew souleva Gabrielle et la bascula par-dessus la grille. La jeune femme glissa dans les bras du rouquin. Andrew se tourna vers Marcas et croisa ses mains pour lui faire la courte échelle. Antoine bondit tant bien que mal sur le trottoir, suivi de l’Anglais. Pendant ce temps, le rouquin aidait la jeune femme à entrer dans une voiture noire, garée sur le trottoir d’en face.
Antoine reconnut tout de suite la Chrysler qu’il avait suivie avec Jade, jusqu’au Freemasons’ Hall. Il s’y engouffra à l’arrière, à côté de Gabrielle qu’il prit entre ses bras. Chasteuil s’installa devant, à côté du rouquin, et la voiture démarra aussitôt.
— Où sommes-nous ? murmurait Gabrielle, tremblante de fièvre.
— Je ne sais pas, mais ce sera toujours mieux que chez ce malade de Fainsworth.
Andrew se tourna vers Antoine et lui tendit une flasque de métal.
— Désolé, mais je n’ai pas de couverture. Faites-lui avaler ça. Un whisky de Kilwining, le patelin de mon camarade. Rien de tel pour reprendre goût à la vie.
Antoine remarqua un compas et une équerre gravés sur le métal. Il porta la flasque aux lèvres de Gabrielle. Elle avala une gorgée qu’elle recracha aussitôt en toussant. Le conducteur leur jetait des regards furtifs dans le rétroviseur et grommelait :
— Eh, la Frenchie. C’est du seize ans d’âge !
Pour la première fois, Antoine sourit. Il porta la flasque à sa bouche. Le liquide tiède et ambré coula dans sa gorge et lui procura instantanément une douce sensation de chaleur.
— C’est mieux ! Andrew, rends-la-moi avant qu’il ne s’enfile toute la ration, gronda le rouquin qui conduisait à toute vitesse.
— Laisse-le. Il en a bien besoin, tu vas pas jouer les radins d’Écossais ! T’en as des caisses entières dans ta cave. On change de programme, il faut la faire examiner par des médecins, direction la clinique Saint-Patrick.
Antoine sentit Gabrielle se blottir contre lui. La peau de son front était brûlante. Sa main mutilée reposait contre sa poitrine. Il inspecta la blessure. Le
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