Le Temple Noir
comme aumônier à la 11 e division parachutiste le goût de l’exercice et accompagnait encore chaque été les jeunes de la paroisse en camp de vacances. Ses mains agrippèrent les barreaux et il se hissa lentement au niveau du premier palier. Un grincement sinistre retentit lorsqu’il posa le pied sur la longue planche en bois, posée en travers. Il s’arrêta net, priant pour que le bruit n’alerte pas les gardiens. Il aurait bonne mine en se faisant surprendre à jouer les acrobates. Il tendit l’oreille, le silence avait repris ses droits. Il marcha avec précaution, emprunta une autre échelle et arriva sur une petite plateforme encombrée d’outils variés. La chance lui sourit, une torche électrique était posée sur un carton. Il l’alluma et la braqua vers le haut de la voûte. Un faisceau blafard éclaboussa la pierre. Il faillit tomber à la renverse.
Une figure cauchemardesque jaillit des ténèbres.
Le Christ en majesté était à moitié défiguré.
Tout le bas du visage avait été arraché.
Seuls subsistaient les yeux, le nez et le front bombé. Le regard profond, qui le fascinait depuis le début de sa prise de paroisse, fixait le père Roudil avec colère, comme s’il le tenait pour responsable du blasphème accompli. Dans la nuit, les yeux semblaient presque vivants. Le père Roudil se signa tout en maudissant la horde de barbares qui avait souillé avec leurs outils le fils de Dieu. Il inspecta le reste de la fresque avec appréhension. Les trois quarts de la mosaïque avaient été saccagés, laissant la pierre à nu. Sa torche continua de balayer la voûte. Nulle part, il n’y avait de faille. On lui avait menti… C’était absurde. Comment son évêque pouvait-il être complice d’un tel sacrilège ? Il redescendit rapidement de l’échafaudage, le cœur lourd, la colère au ventre. Dès demain, il irait voir son supérieur et exigerait des explications. Et si on l’éconduisait, il préviendrait ses paroissiens, la télévision et les journaux. Lui, le père Roudil, gardien spirituel de la basilique, avait aussi le devoir de la protéger des barbares. Il enjamba un madrier constellé de rivets noircis et entreprit de faire le tour de son église pour vérifier l’étendue des autres sacrilèges. Il avait l’impression de se comporter en déserteur revenu sur le champ de bataille, le cœur déchiré d’avoir laissé l’ennemi occuper le terrain. Il s’orienta dans le déambulatoire désert quand soudain il trébucha sur un gros ballot. Il s’étala de tout son long sur le sol glacé, la torche tomba sur le côté.
Abrutis.
Il se releva lentement et tâta le sol autour de lui, sa main agrippa quelque chose de mou. Ce n’était pas un sac de gravats. Il prit la torche et la braqua sur le sol.
Un corps.
Le curé se mit à genoux à ses côtés. L’homme portait un pistolet à la taille. Un des gardiens qui faisait sa ronde, victime de voleurs venus piller l’église ? En s’approchant, il constata que l’homme respirait. Roudil se releva. Il fallait appeler la police. Au moment où il allait rebrousser chemin vers la sacristie, il aperçut une faible lueur derrière la statue de saint Pierre. Il hésita, puis s’avança en éteignant sa torche. La statue était bâchée comme les autres, mais à sa base il remarqua une ouverture rectangulaire baignée de lumière. Ces maudits ouvriers avaient aussi défoncé le sol !
Il s’approcha du trou béant en fulminant. Stupéfait, il découvrit une volée de marches qui s’enfonçaient dans le sol. Lui qui pensait connaître l’église comme sa poche ! Un fil électrique d’où pendait un chapelet d’ampoules courait le long de l’escalier.
Il était tiraillé entre l’envie de descendre ou de battre en retraite pour avertir les autorités. La curiosité contre la prudence. Tout son être lui disait de choisir la seconde solution. Il adressa une nouvelle prière à la Vierge, se promettant d’accomplir en pénitence moult Notre Père et autres Ave . Il agrippa la poignée de la torche comme s’il tenait une arme de poing et descendit les marches. Son esprit fonctionnait à toute allure. Au fur et à mesure qu’il s’enfonçait, il calculait sa position dans la basilique. Normalement, il aurait dû aboutir au niveau de la crypte, mais le trajet n’en finissait pas. Maintenant, le péché de curiosité l’emportait sur celui de la colère. De longues minutes s’écoulèrent avant qu’il ne parvienne
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