Le Temple Noir
voûtes ancestrales des collèges leur attachement à un élitisme éclairé. Mais le poison de la société libérale avait dissous les fondements de l’université, et, un par un, les collèges avaient basculé dans une permissivité émolliente. Seules quelques maisons tenues par les différentes Églises inculquaient encore à leurs étudiants un semblant de tradition. C’était bien la seule vertu que Fainsworth accordait à ces associations religieuses.
Il contourna la statue de Sir John Banaix, fondateur de la plus prestigieuse chaire d’archéologie du collège, et se dirigea vers l’entrée de la vieille bibliothèque.
Il avait hâte d’arriver dans le temple et de faire face au vénérable. C’était le dernier combat. Il n’y en aurait pas d’autres. Le vote précédent avait clairement indiqué le basculement des pouvoirs. La majorité des frères et sœurs le suivaient, c’était l’essentiel. La mécanique était en marche. Implacable.
Il ralentit son pas, attendant qu’un petit groupe d’étudiants sorte, sans se presser, de l’entrée principale, puis suivit le long couloir vieillot qui menait à la bibliothèque.
La salle de lecture était déserte, comme d’habitude. Assis dans son bureau, le cerbère parcourait un magazine de voitures de luxe. Fainsworth l’avait toujours connu en train de lire le même type de journal depuis son admission dans l’ordre. D’où venait-il ? Pourquoi avait-il été choisi pour ce poste ? Était-il au courant de ce qui se tramait dans le Temple Noir ? L’aristocrate n’en avait aucune idée et le considérait comme ces bons vieux domestiques qui vivaient et mouraient dans le silence des antiques demeures d’Albion. Ni plus ni moins.
— Bonjour, je voudrais les Chroniques du Temple souverain, de Lord John Banaix , demanda Fainsworth.
Le bibliothécaire déchaussa ses lunettes et lui décocha le même regard méfiant, inchangé dans sa dureté depuis des années. Un regard qui fouillait l’âme, avait remarqué l’un des membres du temple.
— Quelle édition ?
— Celle de 1875, préfacée par l’historien Jean Xianab.
— Vous avez de la chance, l’exemplaire n’a pas été emprunté.
Les mots de passe changeaient tous les trois mois, Lord Fainsworth trouvait le dernier en date particulièrement compliqué. La porte du bureau du bibliothécaire s’ouvrit, et l’aristocrate traversa la petite pièce qui sentait le renfermé pour emprunter celle du fond.
Il entra dans le temple des ténèbres et s’avança au centre. Comme il s’y attendait, le visage blafard du vénérable flottait à l’orient. Bien au-dessus de lui. Quelques marches de bois, une estrade et un jeu de lumières travaillé, il n’en fallait pas plus pour mettre en scène l’autorité. Et la sublimer. Une Shakespeare touch , songea l’aristocrate. Pas étonnant que le vénérable, qui avait imaginé ce décor sombre et minimaliste, était aussi un inconditionnel du maître de Stratford-upon-Avon.
Fainsworth s’inclina respectueusement et articula sur un ton suffisamment traînant pour marquer son humeur.
— De minuit à midi. Je suis à tes ordres.
Le spectre blanc ne cilla pas.
— Tu es en retard.
— Un peu de circulation pour accéder à la ville, soupira l’aristocrate.
Le vénérable resta figé.
— Tu te doutes de la raison pour laquelle je t’ai convoqué ?
— Non.
Le faisceau de lumière gagna en intensité sur le visage livide du vénérable. Fainsworth se retint de ne pas lui lancer un sourire méprisant. Ça ne marchait plus avec lui. Le maître du Temple Noir s’avança légèrement en avant.
— Il faut tout arrêter.
— Trop tard. Que fais-tu du vote de nos frères et sœurs ?
— Ils comprendront. Je te le demande, mon frère, abandonne pendant qu’il en est encore temps.
Fainsworth secoua la tête.
— Tu as toujours été très fort pour les discours, mais le temps des actes est venu. Prendrais-tu notre caverne pour ces loges maçonniques qui ne font que discourir ? Tu vieillis.
Le vénérable se rapprocha plus près. Son visage était tendu.
— Laisse les francs-maçons à leurs temples. Je sais mieux que toi ce qui nous différencie des adeptes de la lumière.
Les deux hommes se faisaient face. Fainsworth sentit la colère monter.
— Je ne vois pas pourquoi je perds mon temps à discuter. L’opération a été lancée.
Le vénérable haussa les épaules.
— J’ai encore mon libre
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