Le Temple Noir
barrière de Paris, pendant la Commune ?
— Non, mais je m’attends au pire.
— Pour éviter un massacre entre Versaillais et Communards, les frères de Paris se sont réunis à l’Hôtel de Ville. Des milliers venus de tous les quartiers de la capitale. Leur objectif : marcher vers la barrière de Paris pour convaincre les soldats de Versailles de cesser les hostilités.
— Tout un programme !
Antoine continua :
— Les étendards de toutes les loges, même celles des hauts grades, des chevaliers Kadosh aux princes Rose-Croix, claquaient au vent. Quand ils arrivèrent à la barrière de Paris, ils brandirent le drapeau bleu-blanc-rouge en criant : Liberté et Fraternité. Ils reçurent en retour du plomb et des boulets. Un vrai massacre.
Le frère obèse consulta sa montre et s’épongea le front.
— Ah oui… quel courage imbécile. Tu tiens ça d’où ?
— Tu connais Louise Michel ? Elle raconte cet épisode tragique dans ses Mémoires.
— Une sœur rouge, ça m’étonne pas ! Je suis sûr qu’elle n’a pas précisé que tes communards ont aussi fait passer des prêtres et des Versaillais devant le peloton d’exécution, sans autre forme de procès. Cette fascination pour les révolutionnaires dans votre obédience, ça me donne des cloques.
— N’exagérons rien.
— Et dire que les profanes croient qu’on est tous comme vous et qu’on a aussi fomenté la Révolution française. Va dire ça aux frères anglais, ils deviennent hystériques avec vos conneries gauchistes. Louise Michel… N’importe quoi.
Antoine ricana.
— Tu sais quoi ? Le jardin du Sacré-Cœur, eh bien, il a été baptisé Louise Michel, histoire de faire chier les cathos, là-haut.
Marcas savait qu’il en rajoutait, il n’avait rien contre l’Église, mais le conservatisme de son frère le hérissait.
Le directeur du Rucher haussa les épaules.
Dégoûté, Antoine leva à nouveau les yeux vers le Sacré-Cœur. En dépit de cette histoire d’expiation des péchés, la basilique exerçait toujours sur lui la même fascination. Il ne savait pas pourquoi, mais il était impressionné par les deux monumentales statues à cheval qui gardaient l’entrée. Saint Louis et Jeanne d’Arc dans leur armure, prêts à briser leur prison de bronze pour s’animer et chevaucher vers le ciel.
Il sortit brusquement de sa rêverie. La porte du chantier s’ouvrait, laissant sortir un homme d’une quarantaine d’années en combinaison blanche. Il salua le frère obèse qui le présenta :
— Andrea Colignoni, le superviseur du Vatican.
— Commissaire Marcas, je suis honoré de faire votre connaissance. Ainsi c’est vous qui avez découvert le trésor. L’église catholique vous doit une reconnaissance éternelle.
Le frère obèse affichait un large sourire ironique et voulut ouvrir la bouche. Antoine l’en dissuada.
— Un seul commentaire et je fous le camp.
— J’ai rien dit. Je bois les paroles de notre ami italien…
Ils rentrèrent à l’intérieur du chantier. Un camion stationnait devant deux chariots élévateurs. Des ouvriers s’affairaient sous la surveillance de gardes armés. Le superviseur les conduisit vers l’entrée de la basilique, dont les portes avaient été enlevées. Ils laissèrent passer un fourgon rempli de gravats et pénétrèrent dans le sanctuaire. Une fine brume de poussière planait à l’intérieur. Le superviseur pointa du doigt un prêtre en soutane penché sur une caisse ouverte dont il inspectait le contenu. Des centaines de plaques d’or fin étaient empilées les unes au-dessus des autres.
Le prêtre se releva.
— Ce cher da Silva ! s’écria Marcas. Alors on pille le tronc de l’église ?
Le prêtre portugais lui fit un signe de la main, referma la caisse puis s’avança vers Antoine. Il lui serra la main vigoureusement en affichant un large sourire.
— Sa Sainteté m’a chargé de… diriger les opérations de réfection de la voûte. Rien que dans la caisse, on n’est pas loin d’un demi-million d’euros. Heureusement, le lucre ne présente pour moi aucun intérêt. Comment allez-vous, Antoine ?
— Mal, on a torpillé mes vacances à cause de votre macchabée.
— Je suis mortifié mais je plaide coupable. C’est moi qui ai suggéré à votre ami de vous contacter. D’un commun accord nous voulions quelqu’un de sûr. Et vous êtes le seul policier français en qui j’aie confiance. Pardonnez-moi. Le Vatican
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