Le Temple Noir
arbitre et des moyens… d’action.
Fainsworth sourit.
— C’est une menace ?
— Non, un avertissement. Ne prends pas au pied de la lettre les textes. Ce qui était vrai par le passé ne l’est plus désormais. Le monde s’est radicalement transformé depuis la création de notre ordre.
L’aristocrate attendit quelques secondes pour répondre. Il fallait laisser une dernière chance, jouer la conciliation.
— Le Temple Noir a été créé avec un but ultime. La majorité de nos frères l’ont bien compris avec leur vote.
Une voix féminine jaillit de nulle part.
— Une majorité d’une courte voix. Je suis du même avis que notre vénérable.
Fainsworth se tourna sur sa droite. Un nouveau faisceau de lumière fusa, révélant la figure blafarde d’une sœur.
— Moi aussi ! gronda une autre voix. Nous sommes dépassés par notre mission.
Un autre spectre apparut comme par enchantement. Fainsworth ne broncha pas, ils ne le feraient pas plier, pas maintenant. Il se figea.
— C’est tout ? Vous n’êtes que trois… Je m’attendais à mieux.
Le vénérable descendit de son estrade.
— C’est largement suffisant pour arrêter tes projets.
— Je voudrais savoir juste une chose, cher vénérable, toi qui es la mémoire de notre temple. A-t-il toujours existé deux clans au sein de notre ordre ?
— Que veux-tu dire ?
— Les fidèles et les lâches !
Le vénérable secoua la tête d’un air navré.
— Nos prédécesseurs n’auraient jamais dû te faire initier. Ce fut une erreur. Pour répondre à ta question, le terme lâche est inapproprié. En toute chose, même au sein des ténèbres, il faut un équilibre. Nous sommes trois veilleurs au sein du temple, qui ont pour tâche de préserver une harmonie.
— Et les autres, ceux qui ont voté pour ma résolution ?
— Ils ne s’opposeront pas à un… changement de stratégie. De toute façon, ça ne sert à rien de discuter. Tu peux quitter ce temple. Dès ce soir, nous allons faire en sorte que tes projets soient stoppés. J’en prends la responsabilité. J’organiserai une nouvelle tenue afin de recadrer nos missions. Tu peux t’en aller, maintenant.
Fainsworth les dévisagea, puis recula à pas lents vers la sortie.
— Trop tard. C’est vous qui partez !
Un claquement retentit derrière la porte. Deux de ses hommes avaient actionné la ventilation interne. D’un geste brusque, l’aristocrate sortit un petit masque à gaz de la poche de sa veste, qu’il porta à sa bouche. Les spectres ouvrirent de grands yeux étonnés puis les levèrent vers le plafond de ténèbres. Un bruit de soufflerie résonna et une fumée blanche se répandit en nappes vers le sol, formant des arabesques à proximité des faisceaux de lumière. Le vénérable porta les mains à sa gorge, les autres visages blafards toussaient en tressautant, comme si une décharge électrique les avait frappés de plein fouet.
— Qu’as-tu fait ? cria le vénérable en se ruant sur Fainsworth.
Il agrippa les revers de sa veste qu’il lâcha presque aussitôt pour dégager son col de chemise. L’aristocrate ne cessait de reculer. Ses yeux paraissaient exorbités derrière les deux petits hublots de verre du masque.
Il fixa sans ciller les trois spectres qui se contorsionnaient à terre, en hurlant. Le vénérable essayait de ramper vers lui mais il s’arrêta à moins d’un mètre de ses chaussures. Il tenta de redresser la tête, leva le bras quelques secondes, puis s’affaissa. Son bourreau enjamba le corps de sa victime et marcha d’un pas raide vers l’estrade. Il monta les petites marches et s’installa dans le fauteuil du vénérable. Au loin, Old Mary sonnait la moitié de l’heure de rupture.
Il était exactement 12 h 30, quand Lord Fainsworth s’assit dans le fauteuil du vénérable et devint le nouveau maître du Temple Noir . C’était presque trop facile. Il ne put s’empêcher de songer à Richard III, mais lui ne commettrait pas les mêmes erreurs et garderait son trône.
13
Paris
De nos jours
Une palissade haute de trois mètres entourait toute la basilique, formant une muraille infranchissable pour les hordes de touristes désemparés. Entre les murs du monument et cette paroi externe, des plaques de métal galvanisé interdisaient tout regard. L’entrée principale, elle, était quasiment inaccessible, quant à l’esplanade au-dessus de la rue du Cardinal Dubois, jusqu’au croisement avec la
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