Le Temple Noir
mosquée étaient épais. L’ancien prêtre avait pris avec lui le rabbin. Il redoutait un coup d’éclat du Devin. Quelle folie avait gagné l’Anglais de vouloir s’emparer de ce vieillard inutile ? Maïmonès se tenait debout près de l’entrée. Il regardait la pierre d’angle avec attention.
— Alors, rabbin, s’exclama le soudard, si tu frottais ta vieille carcasse sur cette pierre, peut-être que la roue de la fortune tournerait pour toi ?
Le visage plissé, Maïmonès hocha tristement la tête puis prit la parole :
— Avant la mosquée, il y avait une synagogue ici. Et cette pierre est tout ce qu’il en reste.
Le Borgne allait interroger le vieillard quand, accompagné de Tarek le Syriaque, Guillaume surgit. Le colosse était tout sourire. Il se pencha vers l’ancien prêtre :
— Va voir Roncelin et dis-lui bien…
Tarek sortit sa bourse et la fit sonner dans sa main.
— … que l’affaire est conclue. Moi, je pars délivrer les premières otages.
Avant d’accomplir sa mission, le Borgne se tourna vers le vieux Juif qui continuait à fixer la pierre.
— Le Devin tenait sacrément à toi. Tu fais parler les morts comme lui ?
Le rabbin le regarda avec surprise. Il ne s’attendait pas à pareille superstition chez les Francs. Eux qui brûlaient des hérétiques au moindre doute théologique, voilà qu’un des leurs lui parlait de dialoguer avec l’au-delà. Maïmonès secoua la tête :
— Non. Chez nous, les morts doivent rester en paix. Nous ne sommes pas des païens.
— Alors pourquoi le Devin s’intéresse-t-il autant à toi ?
Le rabbin hésita. Les Francs étaient réputés hypocrites et trompeurs. Il se méfiait. En même temps, ce Devin lui inspirait une répugnance quasi physique.
— Je n’ai pas confiance en cet homme, lâcha-t-il.
L’ancien prêtre posa sa pogne sur l’épaule du rabbin.
— Parle, tu m’intrigues. Que voulait le Devin ? De l’argent ? Des reliques ?
— Je… ne sais pas.
— Je peux te protéger de lui… mais il faut m’en dire plus.
Le rabbin se redressa, son visage afficha une expression hautaine.
— Mon destin n’est pas entre tes mains, chrétien, mais dans celles de Dieu.
— Vieux fou.
Le rabbin se dégagea de l’emprise du Franc et joignit ses deux mains sur sa poitrine. Le visage baissé, il articula à voix basse :
— Seigneur Dieu, protège-nous, ma fille et moi.
Maïmonès leva la tête pour voir si personne ne l’épiait. Mais le Borgne était déjà parti.
— Et qu’il préserve le secret qui est en moi.
12
Oxford
De nos jours
Old Mary avait sonné midi, l’heure de clôture. Les étudiants quittaient les quartiers d’enseignement pour se répandre dans les ruelles et profiter des jardins, le temps d’une pause déjeuner. Il faisait trop beau pour s’enfermer dans les cantines sombres et chacun voulait profiter des journées ensoleillées.
Lord Fainsworth traversa, à pas rapides, la vaste pelouse qui séparait l’entrée du collège de Regent’s Park de la bibliothèque. Il faillit se faire bousculer par deux étudiantes qui riaient aux éclats et se dit que de son temps pareille inconvenance n’aurait pas été possible. Non seulement, ses maîtres lui avaient appris à saluer tout adulte qui croisait son chemin, mais le seul fait de perturber le trajet d’un aîné était un signe d’inconduite, passible de sanctions. L’université d’Oxford était censée apprendre aussi à ses étudiants la politesse et le respect de l’autorité, incarnés par les adultes.
Les temps avaient changé. En mal .
Fainsworth jeta un regard de mépris au groupe qui chahutait devant une fontaine de pierre. Les garçons débraillés – leurs vestes n’étaient pas fermées – parlaient fort, les filles portaient des jupes trop courtes et buvaient leurs canettes de boissons gazeuses avec un manque d’élégance symptomatique. La discipline se dissolvait partout dans le royaume, y compris dans ses derniers bastions conservateurs. L’aristocrate ne savait pas s’il fallait plaindre les élèves ou les professeurs qui avaient perdu l’armure oxfordienne, forgée d’un alliage d’autorité et de savoir. Fainsworth regrettait ses années d’étude et de discipline, sous l’ère Thatcher. Le conservatisme, l’un des deux piliers du royaume avec la monarchie, y avait consumé ses derniers feux. L’époque glorieuse de la Dame de fer, où les maîtres osaient déclamer sous les
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