Le Temple Noir
rue du Cardinal Guibert, elle était occupée par des baraquements de chantier. De l’extérieur, on entendait des grondements sourds, comme si une armée de démons démolissait consciencieusement l’intérieur.
La voiture de police banalisée s’arrêta juste devant l’entrée. Antoine et le frère obèse sortirent de la Citroën et saluèrent d’un signe le conducteur qui démarra en trombe pour faire demi-tour. Antoine avait reporté son déjeuner avec Gabrielle qui en avait profité pour dormir et récupérer après leur voyage.
Il s’étira. Son cou lui faisait mal. Le jet lag.
— Si je comprends bien, on a retrouvé le cadavre du prêtre avant-hier ?
— Tout juste.
— Et les gardiens ?
— Celui qui assurait la ronde a eu plus de chance que le curé. Assommé. Ainsi que son collègue en charge des caméras. Ils ont été cuisinés. Rien. Leurs CV sont nickel, ils font partie d’un peloton de gendarmerie d’élite.
— Les caméras de sécurité ?
— Rien non plus. Ou plutôt si. Tous les enregistrements concernant la plage horaire avant et après le meurtre ont été effacés. Ces gars sont très forts.
— Comment est-ce possible ?
— Technique de haute volée, pratiquée par les commandos spécialisés. On pose à côté de l’unité centrale qui reçoit les images un émetteur de champs pulsés à très haute fréquence. Ça grille instantanément toutes les données. Quand ils ont pénétré dans le chantier, ils savaient exactement où poser leur joujou.
— Et le trésor ?
— Même pas touché.
Antoine et le directeur du Rucher sonnèrent à l’interphone placé devant l’entrée du chantier. Le haut-parleur grésilla.
— Nous sommes attendus par le superviseur. Marcas et Gilbert.
— Tu t’appelles Gilbert, maintenant ? interrogea Antoine, dubitatif.
— Oui. Il y a un mois j’avais ma période Maurice. Et au printemps, c’était Marcel. En hiver, je préfère René. J’ai une tendresse pour ces prénoms bien de chez nous et en voie de disparition. Le Rucher reste soucieux des traditions.
Avant qu’Antoine ne réplique, une voix s’échappa de la grille.
— Le superviseur arrive dans quelques minutes. Il est dans la basilique. Attendez.
La connexion coupa. Le commissaire jeta un regard de travers à son collègue.
— Charmant accueil.
— Ils sont sur les dents. Des sacs entiers de pierres précieuses, d’or et d’argent à récupérer en plein Paris et un meurtre sur les bras. Je m’inquiéterais s’ils n’étaient pas paranos.
— Qui coordonne la sécurité ?
— Moi ! Mais ils ont ordre de n’ouvrir qu’en présence d’un responsable à l’intérieur. Je pourrais crever sous leurs yeux, ils me laisseraient agoniser sur le pavé. Quoi qu’il en soit, ce meurtre ne change pas le cours des opérations. Le chantier continue.
— Que disent les analyses médicolégales ?
— Une balle dans la tête, à bout portant, aux alentours de 3 heures du matin. Ils ont descellé le monolithe et fait glisser le couvercle. Ils étaient trois d’après les empreintes.
— Merci, Gilbert, répondit Marcas, goguenard.
L’obèse s’interrompit pour prendre un portable dans sa veste. Il détourna la tête. Antoine leva les yeux vers le dôme de la basilique. Il avait toujours entretenu une attraction ambiguë pour ce monument, construit par l’Église pour expier les péchés lors de l’insurrection de la Commune.
Les péchés de la Commune. Elle est vraiment bien bonne.
Les Communards, en 1871 avaient été massacrés par le gouvernement réfugié à Versailles, des milliers de morts, et on avait fait croire au bon peuple qu’il fallait bâtir cette pâtisserie pour se faire pardonner par le grand barbu. Un triomphe pour les catholiques, une défaite sanglante pour les francs-maçons qui avaient choisi le mauvais camp. Et pourtant, avant de basculer, les frères de l’époque avaient essayé de s’interposer entre les deux camps, de jouer l’ultime carte de la médiation. Un moment tragique et magnifique de l’histoire maçonnique qui avait marqué Antoine quand il était compagnon et écoutait les planches de ses aînés.
Le directeur du Rucher avait raccroché. Antoine croisait les bras.
— Puisque nous poireautons, je vais t’apprendre un peu d’histoire maçonnique. De celle que l’on n’enseigne pas dans ton obédience de nantis.
— Tu vas pas recommencer…
— Connais-tu l’affaire de la
Weitere Kostenlose Bücher