Le Temple Noir
se pressaient roi et mendiants, pèlerins et guerriers n’était plus que l’ombre d’un rêve qui tournait au cauchemar.
Comme il descendait par le chemin dont les lacets enserraient des rochers ruinés par l’érosion, le Devin déboucha sur un cimetière à l’ombre de deux massifs de pierre. Les tombes étaient récentes. Les limites des fosses se devinaient encore. Au pied des croix de bois, de petits monticules de pierres témoignaient de la piété des voyageurs. Le Devin compta les tombes. Onze. Sans doute des pèlerins. Tombés là, victimes des infidèles, de la maladie ou du destin. Des anonymes. Sans intérêt. Le Devin se leva et reprit sa route. Les morts sans nom ne l’intéressaient pas. Ils ne répondaient jamais.
Le Légat ordonna qu’on fouille les cadavres des pillards. Il les fit aligner face aux fossés. Un nuage bourdonnant de mouches s’agglutina sous le chemin de ronde. À chaque nouveau corps, le dominicain faisait glisser une bille d’ambre de son chapelet.
— Et celui-là ? interrogea un des gardes, en montrant la dépouille de Guillaume.
— Il a déjà perdu ses bijoux de famille, siffla le dominicain.
Roncelin s’était relevé. Du regard, il suivait le Légat qui passait en revue les cadavres. Un écorcheur attendait, prêt à intervenir. Roncelin avait toujours détesté ces mercenaires de la mort dont le vil travail était d’achever les blessés en se servant sur leur corps. Pour certains, il s’agissait d’une vocation. Chaque écorcheur avait sa spécialité. Les trancheurs pour les bagues, les fendeurs pour les boucles, les arracheurs pour les dents, mais le pire était les fouilleurs qui récupéraient monnaies et bijoux que des malheureux avaient cru dissimuler en les avalant. Le Légat fit un geste. L’écorcheur se précipita, sortit tenaille, hachoir et rasoir et commença sa besogne. Le dominicain ne le quittait pas des yeux.
— Il faut être méfiant avec cette engeance, vous tournez le dos, et ils vous émasculent un cadavre. Tout ça pour le vendre à une femme en mal d’enfant, précisa le Légat.
Le Provençal ne réagit pas. Il n’aimait pas cette voix, capable de moduler aussi bien la mise à mort que le trait d’esprit. Cet homme, le Légat, avait des mains trop fines pour ne pas aimer les couvrir de sang. Le dominicain venait de se lever, le tube du Borgne à la main. Il l’ouvrit, déplia le parchemin et parla d’un air agité à l’oreille de son maître.
— Où est la rançon ?
Roncelin secoua la tête. Un coup de poing le frappa aussitôt à la tempe. Il s’écroula en balbutiant :
— Je ne dirai rien.
Le Légat sourit.
— Vraiment, nous ne nous connaissons pas assez…
Il releva le Provençal d’une poigne de fer.
— Sur la Croix… Même le Christ a parlé.
17
Paris
Sacré-Cœur
De nos jours
Assis derrière le bureau du père Roudil, Antoine contemplait le grand crucifix en argent massif qui pendait sur le mur attenant à la petite bibliothèque.
Avec ce truc on peut défoncer la tête de quelqu’un.
Il chassa cette pensée diabolique, prit un stylo orné d’une tête de Bernadette Soubirous et le porta à ses lèvres. Ça l’aiderait à se concentrer, la porte fermée n’empêchant pas le vacarme des marteaux-piqueurs qui s’activaient sur la voûte. Un franc-maçon qui mâchouille une sainte, voilà qui aurait fait plaisir à son vénérable.
Le superviseur assis en face de lui ne cachait pas son impatience, tandis que le frère obèse et le père da Silva restaient debout. Antoine ôta le stylo de sa bouche et grimaça. Bernadette avait un goût amer.
— Reprenons. Nos mystérieux visiteurs entrent dans la basilique en pleine nuit, assomment le gardien, descendent dans le passage secret, récupèrent quelque chose dans le double fond du monolithe. Le père Roudil les surprend et se fait assassiner. Ensuite, ils quittent les lieux sans toucher au trésor.
Les trois hommes le laissèrent continuer. Marcas reprit :
— Ils ne se sont pas introduits avec l’intervention du Saint-Esprit. Comment entre-t-on dans votre chantier ?
Le superviseur répondit d’une voix lasse :
— Uniquement par la porte que vous avez empruntée. Les accès à la crypte et au dôme sont condamnés et il n’y a pas d’autres issues. Nous avons aussi vérifié l’hypothèse d’une complicité interne. Tous les ouvriers possèdent des badges nominatifs avec leur photo, délivrés par la gendarmerie
Weitere Kostenlose Bücher