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Le Temple Noir

Le Temple Noir

Titel: Le Temple Noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Giacometti
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pâture.
     
    Le Devin leva la tête vers le soleil. S’il continuait à marcher à ce rythme, il serait à Jérusalem avant le soir. La campagne était déserte. À peine entendait-on un chien qui aboyait dans le lointain. Le chemin errait entre des collines plantées de quelques arbres rachitiques. Parfois, une chèvre sauvage sautait entre deux rochers. Le front en sueur, le Devin avait le regard fixé devant lui. Des cailloux avaient roulé des pentes et gênaient le passage. Ce n’était pas le moment de se briser un os en pleine solitude. Il avait échoué dans sa mission, au dernier moment. Son idée de déclencher le carnage avait raté avec l’arrivée des troupes du Légat. Il avait été à deux doigts de remettre la main sur le rabbin pendant le massacre, mais l’irruption des nouveaux venus l’avait forcé à battre en retraite. Il ne devait surtout pas se faire prendre avec les autres pillards. Pour mieux disparaître, il avait emprunté des vêtements au hasard des cadavres. De loin, il ressemblait à un épouvantail, de près à un fou. Sous un turban taché de sang, son visage décharné évoquait un mort en sursis. Jusqu’ici il n’avait croisé âme qui vive, mais s’il voulait passer les contrôles à l’entrée de Jérusalem, il devrait se confondre avec les foules des pèlerins exaltés qui se pressaient sur les pas du Christ. Il ferma le poing et accéléra l’allure.
     
    À genoux, les yeux fermés, Maïmonès entendait des cris qui n’avaient plus rien d’humain. Un parfum de mort lui brûlait les poumons. Cette odeur âcre que l’on n’oubliait jamais, une fois que le malheur vous l’avait fait respirer. Depuis que Khatani avait surgi dans la synagogue, sa vie avait volé en éclats. Lui, l’érudit silencieux, vivait l’épreuve du bruit et de la fureur. Cette violence, qu’il avait longtemps cru conjurer par la prière et l’étude, éclatait comme un fruit mûr. Comme si Dieu voulait brutalement rappeler aux hommes la précarité de leur destin, l’infinie faiblesse de leur nature. Les cris avaient cessé. Maïmonès prononça un psaume pour l’âme égarée qui quittait ce monde. Il ignorait ce qu’étaient devenus les siens. Massacrés sans doute comme toujours en période de troubles. Le monde qui l’entourait s’écroulait dans les flammes. Il ne lui restait rien. Rien que sa fille.
     
    Quand les soldats du Légat écartèrent les femmes, Guillaume était méconnaissable. En deux endroits précis son anatomie avait totalement changé. Le visage, surtout, avait subi une implacable métamorphose. Si les dents semblaient avoir migré à l’intérieur du corps, les yeux avaient quitté leur orbite habituelle. L’un d’eux, d’ailleurs, avait disparu, l’autre avait roulé jusqu’au nombril, contemplant le ciel d’un bleu hébété. Le Légat fit traîner le cadavre jusqu’aux murailles. Entre ses cuisses, un trou béant laissait échapper des flaques fumantes qui ponctuaient son passage. Regroupées près de l’entrée, des femmes, le visage et les mains dégoulinants, hurlaient comme des damnées. Le Renard appela son conseiller.
    — Qu’on les calme. Dites-leur qu’elles sont sous la protection de l’Église. En revanche…
    — Oui, Monseigneur ?
    — Envoyez dix hommes en ville pour récupérer le butin restant.
     
    Un troupeau de chèvres fit son apparition, soulevant les pierres de leur museau, en quête de la moindre touffe d’herbe. Plus haut, à l’ombre d’un arbre, un berger invisible chantait une mélopée triste. Le soleil était au zénith. Après s’être arrêté pour se désaltérer à un puits boueux, le Devin avait repris sa route. Des marchands qui l’avaient croisé s’étaient écartés du chemin. Son déguisement, pourtant hasardeux, fonctionnait. On le prenait pour un gyrovague , un de ces moines, mi-prophètes, mi-sorciers, en rupture de ban avec leur monastère et qui erraient comme des âmes en peine. Mendiant, volant au besoin, maudissant au moindre refus, la population les redoutait, pire encore que les pillards. Le Devin s’arrêta. Devant lui, à quelques lieues à peine, se dressait Jérusalem. Comme chaque fois qu’il apercevait la Ville sainte, le Devin était déçu. Le centre de l’univers n’était tout au plus qu’une bourgade de province. Serti dans des remparts ruinés, le diadème de la chrétienté ne brillait plus que du diamant terni de quelques églises et de l’or du soleil. La ville où

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