Le templier déchu
et chuchota :
— Si vous souhaitez vous retirer pour la nuit, faites donc, madame. Pour ma part, je dois encore saluer quelques personnes, après quoi, je prendrai un bain pour me débarrasser de la poussière de la route. Je ne me coucherai donc pas avant un bon moment.
Elizabeth se leva abruptement et quitta la table. Elle sentit son regard la brûler tandis qu’elle faisait signe à ses suivantes et s’éloignait.
Parvenue à la porte, elle ne put résister à l’envie de lui jeter un dernier coup d’œil par-dessus son épaule. Robert la fixait toujours de ses yeux bleus étincelants. Et, en silence, il articula ces quelques mots qui mirent ses sens en ébullition :
— À tout à l’heure...
3
Il faisait nuit depuis plusieurs heures quand Alexandre gagna la chambre qu’il était censé partager avec sa prétendue épouse.
La plupart des habitants du château dormaient. Il avait accompagné Lucas et Stephen dans leur quartier sous prétexte de leur faire honneur. En réalité, il voulait faire un rapide état des lieux, car les agents d’Exford n’avaient pu lui fournir aucun détail à ce sujet.
Il n’avait pas été long à comprendre pourquoi le château résistait à tous les sièges, et pourquoi le roi Édouard tenait tant à se l’approprier.
Dunleavy était une véritable forteresse. Alexandre avait rarement vu une garnison aussi bien équipée en armes et en infrastructures, sauf peut-être dans l’armée de l’ordre du Temple, à Chypre. Les assauts répétés avaient certes créé quelques points faibles, et il incombait désormais à Lucas et à Stephen de les identifier afin qu’Exford s’y attaque en priorité lors du prochain siège.
Alexandre avait été aussi surpris par la taille de la garnison. À vue de nez, il avait dénombré une centaine d’hommes d’armes, une quarantaine de chevaliers, et une douzaine d’ingénieurs. Sans compter les archers.
De la bouche d’un de ces derniers, il avait appris l’histoire de la tranchée que dame Elizabeth avait fait creuser dans la cour extérieure, puis emplir de poix. Ce subterfuge avait permis de mettre en déroute le dernier assaillant à s’être attaqué au château, le comte de Lennox, un Écossais dont les terres jouxtaient le domaine au nord.
Utilisant une ruse, on l’avait amené à franchir le pont-levis en compagnie de ses officiers. Sitôt les cavaliers passés, les archers embusqués sur le chemin de ronde avaient embrasé la poix de leurs flèches enflammées. L’opération n’avait pas totalement réussi car, comprenant qu’on s’était joué d’eux, Lennox et ses hommes avaient tué les sentinelles qui gardaient l’entrée et étaient parvenus à relever la herse pour fuir. Néanmoins le comte de Lennox, blessé, avait battu en retraite, et Dunleavy avait été sauvé une fois de plus.
Alexandre s’immobilisa devant la porte de la chambre à coucher. Au lieu d’entrer directement, il s’adossa au mur, le temps de respirer à fond et de rassembler ses esprits avant de pénétrer dans ce sanctuaire conjugal où il devrait s’acquitter de ses devoirs, comme le ferait n’importe quel époux retrouvant sa jeune femme après une longue absence.
Ce n’était pas que l’acte en soi lui semblait difficile à accomplir. Au contraire. Il n’avait été que trop privé du réconfort que seule une femme peut offrir à un homme. Il ne craignait pas non plus de ne pouvoir honorer la belle Elizabeth comme elle le méritait, car si son corps portait les stigmates des blessures infligées par les bourreaux de l’Inquisition, il n’en fonctionnait pas moins parfaitement.
Sur le plan physique, donc, tout allait bien. Et puisque Elizabeth lui plaisait, il n’avait aucune raison d’atermoyer. Pourtant, quelque chose le turlupinait, l’empêchant d’entrer dans cette chambre. L’impression que les choses n’étaient pas telles qu’elles le paraissaient en ce qui concernait cette femme. Cela pouvait sembler paradoxal dans la mesure où c’était lui qui jouait la comédie. Et pourtant, c’est bel et bien ce qu’il ressentait.
Dame Elizabeth avait en effet réagi comme si elle n’était pas absolument certaine de l’avoir reconnu. Et son instinct, à quoi s’ajoutait ce que l’archer lui avait raconté à son sujet, lui soufflait qu’elle ne se contenterait peut-être pas de l’accueillir dans son lit en épouse complaisante.
La dame était maligne. Il en voulait pour preuve cette idée de
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