Le templier déchu
échangèrent quelques regards gênés. Puis Robert se mit debout, et Elizabeth perçut la puissance qui irradiait de son corps musclé. Il leva son hanap et attendit que la petite centaine de personnes réunies dans la grande salle fasse silence.
— Je veux que vous sachiez à quel point je me considère comme chanceux d’avoir pu rentrer chez moi après toutes ces années de captivité. Et je puis vous affirmer que cela n’aurait pas été possible sans l’assistance de ces hommes que j’ai invités à m’accompagner à Dunleavy : messire Stephen de Cheltenham et messire Lucas de Dover. Je vous fais confiance pour leur réserver un accueil digne d’amis.
Tandis que des acquiescements fusaient, Robert se tourna vers messire Garin de Payton, le capitaine des gardes, et le pria de trouver à loger ses deux visiteurs, et ce aussi longtemps qu’ils manifesteraient l’envie de demeurer au château.
Tandis que les convives levaient leur chope pour saluer les deux Anglais, Elizabeth ne put se défendre d’éprouver un certain malaise.
Si cet homme qui se prétendait son époux était réellement un imposteur... alors qui étaient ces deux Anglais qui l’accompagnaient ?
Des espions ?
Elle frissonna à la pensée d’une telle éventualité. Ces inconnus se voyaient offrir l’accès à la caserne, ils allaient côtoyer leurs meilleurs soldats, s’entraîneraient avec eux et apprendraient sous peu tous les détails quant aux moyens mis en œuvre pour protéger le château.
Les pensées d’Elizabeth s’emballèrent. Ce tourbillon lui donnait la nausée et altérait son jugement. Il lui fallait envisager un par un chaque aspect de la question.
En premier lieu, elle ne pouvait rester assise ici à ne rien faire, alors qu’elle était dévorée par le doute. Non, il fallait qu’elle en ait le cœur net, au plus vite. Et peut-être y verrait-elle un peu plus clair dans les sentiments confus que l’homme qui se tenait près d’elle lui inspirait.
— Messire ?
Elle crut tout d’abord qu’il ne l’avait pas entendue. Puis il tourna la tête, et elle fut frappée par l’intensité de son regard.
— Oui, madame ?
— Il se fait tard. Je... je souhaiterais me retirer dans notre chambre.
Elle marqua une pause appuyée avant de demander à mi-voix :
— M’y rejoindrez-vous tout à l’heure ?
Il parut pris de court, et la pensée qu’il n’avait pas réfléchi à l’endroit où il dormirait lui traversa fugitivement l’esprit.
Il fit une pause, comme s’il choisissait ses mots avec soin, puis une petite flamme s’alluma au fond de ses yeux tandis qu’il demandait :
— Désirez-vous que je vous rejoigne ?
Ce fut au tour d’Elizabeth d’être prise au dépourvu. Il n’en fallut pas plus pour que des pensées osées défilent dans son esprit et qu’une onde de chaleur la submerge. Quoique déstabilisée, elle parvint tout de même à hausser les sourcils et à rétorquer d’une voix égale :
— Mes désirs importent peu. N’êtes-vous pas le maître de Dunleavy ? Vous êtes libre de dormir quand et où vous le désirez... messire.
La petite flamme espiègle pétilla de plus belle dans les yeux bleus. Il sourit, et si elle se sentit fondre, elle s’efforça de se convaincre que cela était dû aux deux hanaps de vin qu’elle avait bus.
Elle ne put réprimer un petit cri de surprise lorsqu’il s’empara de sa main. Ce contact banal la brûlait presque, et sans doute s’en rendit-il compte, car il la fixa de son regard presque hypnotique, comme un loup épie un lapin sur lequel il s’apprête à bondir. Puis son pouce se mit à glisser doucement sur sa paume tandis qu’il murmurait :
— Vous semblez avoir oublié quelque chose de capital à mon sujet, madame.
— De quoi s’agit-il donc, je vous prie ? fit-elle d’une voix rauque.
— Jamais je n’ai pensé que vos désirs importaient peu. Surtout en ce qui concerne ce qui se passe dans le secret de notre chambre. Votre mémoire vous joue des tours, madame. Mais je vais prendre cela comme un défi personnel, et je ferai de mon mieux pour que les souvenirs vous reviennent.
Son sourire était si sensuel qu’elle en fut toute chamboulée. Elle se força à inspirer profondément, et prit prétexte de saisir son hanap pour libérer sa main sans paraître discourtoise. Elle but une longue gorgée de vin, reposa le récipient, et ne sut que dire. Comme le silence s’étirait, il parut avoir pitié d’elle
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