Le templier déchu
beauté apaisante. Et il n’était donc guère surprenant qu’Elizabeth ait coutume de s’y réfugier. Ce qui était surprenant, en revanche, c’était la façon dont il l’avait appris. Apparemment, il s’était fait une alliée de la jeune suivante et, même s’il ne se l’expliquait pas, il s’en réjouissait. Cela servirait parfaitement ses plans en ce qui concernait Elizabeth.
En effet, celle-ci était sur le point de recevoir son « prix » pour avoir gagné à la marelle, et si son désir de lui échapper était grand, la détermination d’Alexandre à la retrouver était plus grande encore.
Elle n’allait pas tarder à s’en rendre compte.
S’adossant à une banquette façonnée à même la terre et recouverte d’un épais tapis d’herbe verte et de trèfle odorant, Elizabeth exhala un soupir de contentement. Un parfum délicieux montait du sol que le soleil avait chauffé toute la journée. Derrière le siège végétal se dressait un treillage qui servait de tuteur à des rosiers grimpants dont la fragrance se mêlait à celle, plus corsée, des lys et de la lavande.
Paupières closes, Elizabeth inspira profondément, comme pour s’imprégner de ces parfums. Seuls le ruissellement cristallin de l’eau qui coulait sur la pierre de la fontaine toute proche, et le chant occasionnel d’une alouette brisaient le silence.
Elle était seule, divinement seule.
Elle aimait à se détendre dans ce jardin après avoir chevauché dans la campagne, ce n’était un secret pour personne. Ce soir, cependant, elle avait pris soin de se dissimuler derrière le treillage. Les domestiques n’iraient certes pas révéler sa petite habitude à Robert, à moins qu’il ne demande après elle... ce dont elle doutait, quand bien même il était censé lui remettre cette fameuse « récompense » promise le matin même.
Robert avait de toute évidence changé, mais pas à ce point. Il était homme à prendre ses devoirs au sérieux et à s’absorber totalement dans sa tâche ce qu’il avait fait après l’avoir quittée – et il était plus que probable qu’il ait oublié sa promesse.
Il était indéniable que la passion flambait dès qu’ils se retrouvaient à proximité l’un de l’autre, aussi avaient-ils pris soin, tacitement, de se tenir à distance quand ils étaient contraints d’être seuls dans la même pièce. Le soir, quand l’un se retirait pour gagner la chambre, l’autre attendait un moment avant de le rejoindre, afin d’éviter que ne se reproduise la scène embarrassante du premier jour.
C’est pourquoi Elizabeth ne doutait pas de trouver Robert en train de dormir lorsqu’elle se glisserait dans leur chambre tout à l’heure.
En attendant, elle profitait du répit bienvenu que lui procuraient ces quelques moments d’une retraite délicieuse. Être libérée du poids des devoirs qui lui incombaient, ne serait-ce qu’une heure, était un soulagement.
Bien sûr, depuis que Robert était de retour, sa charge avait été considérablement allégée. Mais, en dépit de ce que lui avait dit le père Paul, elle avait du mal à abandonner au profit de son mari les responsabilités qui avaient été les siennes durant cinq années. Non pas qu’elle s’y refuse. Au contraire, elle aurait été infiniment soulagée de déposer son fardeau sur ses robustes épaules... si seulement elle avait pu le faire sereinement, débarrassée de ces doutes affreux qui la taraudaient.
Sa promenade à cheval lui avait permis de les oublier un temps, et elle tentait de prolonger ce moment de bien-être en s’attardant dans le jardin. Elle avait même écourté son bain, impatiente qu’elle était de profiter de sa chère solitude.
Les yeux toujours clos, elle respirait lentement, profondément. Le parfum des fleurs la grisait. Elle se sentait merveilleusement bien.
À un détail près...
Elle avait faim. Tellement faim que son estomac s’était mis à gargouiller de manière fort disgracieuse. Elle avait volontairement manqué le souper dans l’espoir que Robert oublierait sa « récompense », mais elle n’avait pas songé à emporter un peu de pain et de fromage, ce qui n’était pas très avisé.
Elle s’efforçait d’oublier son estomac qui criait famine en se concentrant sur le frais parfum de rose qui lui chatouillait les narines lorsqu’une voix masculine retentit dans son dos :
— C’est un endroit charmant, madame. Mais il vous faudra aller beaucoup plus loin
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