Le templier déchu
qui prônent l’action se font entendre plus bruyamment et se montrent plus persuasifs que ceux qui demeurent plus mesurés dans leur jugement.
— Vous parlez d’Aubert, n’est-ce pas ?
Le silence d’Elizabeth était éloquent. S’efforçant de garder un ton ferme, elle poursuivit :
— Bien que je ne puisse fermer les yeux sur ce que vous avez fait en vous introduisant à Dunleavy sous l’identité de feu mon époux, je ne souhaite pas qu’on vous pende, vous le savez bien. Mais si je ne fais rien, mon autorité sera remise en cause. Voilà pourquoi vous devez être parti avant l’aube, conclut-elle en plantant son regard dans le sien.
Alexandre soutint son regard, l’air résolu, mais parut considérer ses arguments. Elle ne doutait pas qu’il finisse par s’y rendre, aussi fut-elle stupéfaite lorsqu’il répondit, un instant plus tard :
— Non, Elizabeth.
Elle laissa échapper un petit rire incrédule.
— Non ? Voyons, Alexandre, n’avez-vous pas entendu ce que je viens de vous dire ? Si vous restez, vous serez exécuté, et je ne pourrai rien faire pour l’empêcher.
Sa mâchoire virile, comme ciselée dans le marbre, se contracta, et une petite veine se mit à palpiter sur sa tempe.
— Je ne vous laisserai pas seule ici, sans protection.
— Mais contre qui voulez-vous me protéger ? rétorqua-t-elle, plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu. J’ai survécu ici avant que vous n’arriviez et je continuerai après votre départ, n’ayez crainte.
Son irritation affichée l’aidait à résister au désarroi qui l’envahissait à l’idée de le perdre, même si elle était convaincue de la nécessité absolue de son départ.
— J’ai moi-même pavé le chemin des Anglais qui viendront bientôt assiéger Dunleavy, s’entêta-t-il. Grâce à moi, ils connaissent maintenant les points faibles de la forteresse. Voilà pourquoi il est hors de question que je vous abandonne et vous laisse les affronter seule.
— Vous serez mort bien avant leur arrivée si vous vous obstinez à rester.
— La bataille aura lieu d’ici à une semaine, à quelques jours près. De plus, même si je vous obéissais, on vous reprocherait de m’avoir laissé fuir. Je ne veux pas que vous en subissiez les conséquences, Elizabeth. Je refuse de partir.
Seigneur, qu’il était donc obstiné ! Exaspérée au plus haut point, Elizabeth détourna la tête. De toute évidence, Alexandre n’avait pas l’intention de plier. Il ne songeait pas à sa propre sauvegarde. Pourtant, elle devait absolument le convaincre. Elle n’avait pas exagéré en lui décrivant ce qu’il adviendrait de lui si jamais il demeurait à Dunleavy.
Il devait y avoir un autre moyen...
Elle le regarda de nouveau.
— Hier soir, quand vous m’avez révélé votre véritable identité, vous avez mentionné l’Inquisition française. Vous avez dit être un ancien Templier, membre du cercle intérieur, emprisonné en France et torturé, c’est bien cela ?
— Oui, admit-il après un silence.
La brièveté de sa réponse et son expression firent regretter à Elizabeth de devoir évoquer ce passé sombre. Mais dans cette bataille pour sa survie, elle était prête à employer toutes les armes à sa disposition.
— Et vos cicatrices, ajouta-t-elle, faisant référence sobrement aux terribles brûlures, lacérations et autres stigmates dont son corps portait la trace indélébile, sont le résultat de ces mois de captivité aux mains de Français ?
Il ferma les yeux un instant. La question d’Elizabeth avait apparemment libéré des souvenirs qui avaient aujourd’hui encore le pouvoir de le terrasser. Les poings serrés sur les genoux, il avait l’air si mal qu’elle se détesta de le contraindre à revivre de telles horreurs. Il était immobile, luttant visiblement pour endiguer le flot douloureux d’images qui devaient se presser aux portes de sa mémoire. Seule sa poitrine se soulevait au rythme de sa respiration.
Enfin, il tourna les yeux vers elle, la fixa d’une drôle de façon, peut-être pour la mettre en garde, l’inciter à abandonner le sujet une fois sa réponse donnée.
— Oui, madame, confirma-t-il d’une voix cassée, ces marques m’ont été laissées par mes bourreaux.
Le cœur d’Elizabeth se serra de nouveau à la pensée des souffrances qu’il avait dû endurer. Elle se rappela s’être demandé, la première fois qu’elle avait vu ses cicatrices, comment il avait pu survivre à
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