Le templier déchu
important ? voulut-il savoir.
Elle marqua une pause, et il l’entendit retenir son souffle. Ses yeux gris s’étaient embrumés, et elle dut ciller pour retenir ses larmes. Quoiqu’elle parût déterminée, il y avait dans son expression une douleur indicible.
— C’est important parce que vous devrez avoir quitté Dunleavy avant le lever du soleil, Alexandre, répondit-elle d’une voix altérée. Quand l’aube arrivera, vous serez déjà loin du domaine. Nous n’avons pas le choix, je le crains.
13
Le beau visage d’Alexandre s’assombrit d’un coup. Sans mot dire, il roula sur le côté, se redressa en position assise et, d’une main, repoussa les cheveux qui lui tombaient dans les yeux.
Après les transports fougueux qu’ils venaient de connaître, les paroles d’Elizabeth semblaient lui avoir fait l’effet d’une douche glacée. Comme il lui retournait un regard désemparé, elle sentit son cœur se fendre. Elle aussi se sentait désemparée, d’une certaine façon, bien que ce soit elle qui eût pris l’initiative de faire l’amour. Elle n’avait pu se refuser cet ultime moment de plaisir et d’intimité, quand bien même elle savait pertinemment ce qui allait suivre.
À présent, la réalité froide et brutale reprenait ses droits.
— J’aimerais qu’il existe une autre solution, ajouta-t-elle à voix basse en s’asseyant à son tour pour se rajuster.
— Il y en a toujours une ! La fuite est la pire. C’est celle que j’ai toujours choisie par le passé.
— Nous n’avons pas le choix, répéta-t-elle.
— Bien sûr que si !
Il s’interrompit, et sa bouche se tordit en une moue de mépris qui n’était dirigé que contre lui-même.
— Vous rappelez-vous ce que j’ai dit hier soir devant Aubert et messire Garin, à propos de mon frère Damien et de nos amis Richard et Jean ?
Elizabeth acquiesça en silence.
— Ce sont tous trois des hommes d’honneur, Elizabeth. Des guerriers au grand cœur qui ont risqué leur vie pour me sauver. Et je les ai récompensés en volant une partie du trésor des Templiers qu’ils avaient juré de protéger ! Lorsque les Anglais m’ont capturé, je me rendais à Carlisle pour vendre un ciboire en or. J’avais l’intention de couper les ponts avec ma famille et mes amis. Fuir, telle a toujours été ma réponse face aux difficultés. Toute ma vie, je me suis dérobé devant elles.
— Cette fois, c’est différent.
— Non, madame. J’en ai assez de me conduire comme un lâche. Pour la première fois de mon existence, je veux affronter les événements et faire ce que me dicte ma conscience. C’est contraire à tout ce que j’étais avant de vous connaître, et pourtant, c’est ainsi.
— Mais je ne vous laisse pas le choix, Alexandre. Je vous ordonne de partir.
Elle pensait que cet ordre impérieux le blesserait, ou du moins le piquerait au vif, mais, à sa grande surprise, il apparut plus déterminé que jamais.
— Je suppose que cela signifie que vous ne m’avez pas tout dit concernant votre décision de ne pas m’exécuter ?
Il était décidément perspicace.
Elle le considéra un moment sans ciller avant de répondre finalement :
— En tant que châtelaine de Dunleavy, je détiens un certain pouvoir, c’est vrai. Toutefois, cette position m’a été conférée par mon mariage et non par les droits du sang. Je ne suis donc pas toute-puissante. Et d’autant moins maintenant que...
Elle n’acheva pas sa phrase, mais c’était inutile. Alexandre savait qu’elle aurait dit : « D’autant moins maintenant que tout le monde sait que je me suis laissé abuser par un imposteur, qui a trouvé le moyen de s’introduire dans ma maison, dans mon lit, de gagner mon cœur et ma confiance. »
— Et ? l’incita-t-il à poursuivre.
— Certains doutent de ma capacité à juger cette affaire en toute objectivité. Ils préconisent de vous soumettre à la question... et il est évident qu’au moins une personne espère que ces séances de torture seront suivies d’un procès expéditif et, dans la foulée, d’une pendaison.
Sans répondre, Alexandre hocha la tête.
— J’ai usé de mon autorité prépondérante pour surseoir à tout jugement dans l’immédiat, mais je ne puis atermoyer indéfiniment. Il est déjà question d’envoyer un messager au roi Robert Bruce pour le mettre au courant de ce qui s’est passé ici. En prévision de cela, nous devons prendre une décision. D’autant que ceux
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